jeudi 17 mars 2011

encore une goutte

Je souhaite m’expliquer davantage sur la Goutte d'Or. J’y habite comme beaucoup parce que j’ai trouvé un logement dans un lieu agréable pour un loyer modéré. Un retraité aisé qui peut prendre des vacances quand il veut, n’a pas de difficultés majeures à vivre dans ce quartier. Pour les étudiants et jeunes salariés sans enfants, ça marche encore. Pour une femme c’est un peu moins bien. Un couple avec enfants d’âge scolaire, ça grince.

On peut habiter le quartier en évitant les rues difficiles, les scènes désagréables, la drogue, les commerces illicites, la prostitution. On passe par des rues tranquilles, on regarde ailleurs. Mais les gens qui habitent ici, avant de louer ou d’acheter, sont venus faire un tour. Ils savaient. Si vous ne voulez pas voir la drogue, la prostitution, le commerce illicite, il ne faut pas venir ici. Dites-le à vos amis.

Les commerces à la sauvette rue Poulet, dans la rue, qui vous empêchent de passer, les crackeurs qui se piquent ou qui inhalent sous le porche d’un immeuble ou derrière un voiture, qui se mettent à quatre pattes pour rechercher un caillou, les vendeurs de cigarettes de contrebande qui vous empêchent de prendre le métro Barbès, les vendeurs du métro Château Rouge qui encombrent le couloir d’accès au quai, tout cet ensemble permet de dire effectivement que sont tolérées ici des pratiques qui seraient impensables dans d’autres quartiers. C’est même pour ça que les prix des logements sont plus faibles. Au début on pense au loyer. Puis avec le temps, on souhaiterait un quartier comme un autre et on oublie le prix du mètre carré. C’est normal, c’est un signe d’intégration.

Les descendants d’immigration lointaine (que je préfère à l’expression « français de souche » sont à juste titre irrités, certains partent. D’autres arrivent. Pour rester, il faut faire de la politique. Il faut essayer de comprendre. C’est dur, c’est fatigant, c’est passionnant. Vivre à la Goutte d'Or c’est vivre aux premières lignes de toutes les tensions de notre monde. La drogue, l’islam, la misère, les migrations… Si on ne cherche pas du sens à tout ça, on peut s’énerver. S’intéresser à l’histoire du quartier, ce n’est pas accepter l’inacceptable d’aujourd’hui, c’est se rendre compte que hôtels de passe où des clients par centaines se battaient pour entrer, ce n’est pas si loin. Les patrouilles de CRS et de harkis en armes qui patrouillaient, c’était avant-hier. Les taudis détruits et remplacés par des immeubles neufs, vous en trouverez les photos à la bibliothèque de la Goutte d'Or.

Un seul exemple : La drogue. Vous voyez maintenant dans le quartier ou dans les lieux d’accueil des usagers dont la majorité ont quarante, cinquante, soixante ans. Pourquoi ? parce qu’une politique de réduction des risques,(distribution de seringues…, etc). les a maintenus en vie. Avant ils mouraient jeunes, il y en avait moins. C’est bien ou c’est mal ? En Russie, on considère qu’un malade atteint du Sida l’a bien cherché et on le laisse crever. Ça ne dit rien de bon pour la société russe dans son ensemble. À Amsterdam, on ne voit pas les drogués dans la rue, ils consomment dans un environnement propre, à l’intérieur de salles qui leur sont réservées.

Tout est en place pour le pire et le pire ne se produit pas. La police se promène dans nos rues sans recevoir de parpaings sur la tête. Les commerces s’ouvrent et se ferment. Il y a une mosquée, une synagogue et une église. Les gens se parlent et s’ignorent. Des délégations viennent visiter la Goutte d'Or pour essayer de comprendre pourquoi les voitures n’y brûlent pas et qu’il n’y a pas d’émeutes. Aucune raison de fanfaronner. Mais je considère parfois que l’avenir se construit plus dans notre quartier que dans les ghettos de Neuilly.

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