Zone de sécurité
prioritaire 21 juin 13
Jeudi
20 juin 2013. Deux camions de CRS à l’angle Myrha/Barbès. Une voiture de police
face au marché Dejean. Debout, près de la portière, un officier de police
balance une petite bouteille de gaz lacrymogène. Aucune activité particulière
autour de lui, aucune tension. Sauf cette bouteille. Qui se voit, qui se
montre.
Les
vendeurs à la sauvette se sauvent quand les forces de police apparaissent et
reviennent quand elles s’en vont. Ils reviennent plus denses, plus épais, comme
si la patrouille barattait le lait ou fouettait une mayonnaise. Ceux qui ne
partent pas sont usagers de drogues, dealers, distributeurs de prospectus pour
coiffeurs ou abonnements de téléphone. La patrouille passe, le trottoir se
coagule. Le passage devient difficile. Les vendeurs de maïs, de cacahuètes, de
portables, de montres, de sacs, de cigarettes. Les piétons avancent de biais,
comme des brise-glaces au printemps.
Ils
sont sans papiers, ils sont clandestins, vendeurs illicites. Ils risquent des
amendes, l’emprisonnement, le rapatriement. Leur marchandise peut être
détruite. Qui sont-ils ? Qui leur parle ? Qui sait pourquoi ils sont
là ? Ils n’ont pas l’air affolés. Ils font un travail, qui consiste à
vendre n’importe quoi pour vivre et à jouer au chat et à la souris. Ils
surveillent et vendent en même temps. Quand ils courent, ils plaisantent. Les
mamas africaines courent moins vite et hurlent quand on leur confisque la
marchandise. Mais pourtant, elles aussi reviennent. Tous les jours. Quand il
pleut, ils se réfugient sous les auvents des magasins et les commerçants
tentent en vain de les chasser.
Vendredi
21 juin. 17 heures 30. Les abords de Château Rouge sont à nouveau engorgés. Quatre
policiers bavardent près du métro. Je me présente. Je suis un habitant du quartier.
Bonjour Messieurs. Comment ça se passe ? Vous faites du bon travail ?
L’un d’eux s’éloigne d’un pas vif. Il ne veut surtout pas parler. Deux autres
s’éloignent. Celui qui reste me dit son découragement. Ça ne sert à rien. Si on
appliquait vraiment la loi, amendes et prisons, Mais on les laisse faire. On ne
verbalise même pas. Profond désarroi. Ou bien ils fuient. Ou ils parlent, démoralisés,
sans objectif.
Vous
vous rendez compte des effets dévastateurs d’une telle situation ? Jour après jour, des uniformes, des fuites,
des étals repliés, des cartons abandonnés, puis ils reviennent, cinq minutes
après, une heure après, le lendemain. Aux citoyens, ces interventions apparaissent
coûteuses et inutiles. Les vendeurs à la sauvette ne sont même pas inquiets. Et
des policiers qui ont peur de parler aux habitants. Qui s’éloignent dès qu’on
leur pose des questions sur leur travail. Pourquoi pas des policiers toujours les mêmes
qui s’arrêteraient diraient bonjour aux habitants, la police de proximité. Au
lieu de ça, un quartier en état de siège, le désert des Tartares, on campe des
deux côtés. Sans résultat.
Je
vous dis tout ça parce que j’aime mon quartier, parce que je respecte le
travail de la police. Le travail des élus. Le travail des associations. Quand
on classe les écoles en ZEP, souvent les familles retirent leurs enfants, et le
ghetto est plus fermé encore. Si les choses continuent encore, le jeu actuel ne
sera pas seulement inutile, il deviendra dangereux. Les tensions seront plus
fortes, les habitants avides de calme se lasseront, ou seront encore plus en
colère. Ou ils partiront et il restera un quartier encore plus difficile à
vivre.
Il
n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard.
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