vendredi 14 juin 2013

les Orcades


Les Orcades, 2 juin 2013-11 juin 2013

 

Nous inventons une tradition. Une année, nous organisons un voyage en France, l’année suivante, Tony et Pat organisent un voyage en Grande-Bretagne. L’an dernier, nous avons vogué sur la Charente, cette année, ce fut les Orcades. L’année prochaine, ce sera en France, peut-être dans le Périgord, avec des vélos à assistance électrique. Chaque expédition se prépare en amont, comme le Tour de France ou le Festival de Cannes. Les spectateurs ne s’intéressent qu’au déroulement, mais le travail a commencé depuis la fin du Tour précédent.   

Cette année ce fut les Orcades, au Nord-Est de l’Ecosse, dans ces territoires où l’été ne connaît pas la nuit et le jour est fâché avec l’hiver. Pourquoi l’Ecosse est-elle plus exotique que la Charente, ou que l’Angleterre ? Ou que Mimizan Plage ? Pourquoi donner rendez-vous à Edimbourg est-il plus excitant qu’une rencontre à la sortie de la gare d’Angoulême ? Pour des Ecossais, peut-être ressentent-ils le même frisson d’aventure quand ils prononcent les noms de Palavas les Flots, Trouville ou Armentières ? Pour nous, aller d’Edimbourg à Inverness, puis d’Inverness, prendre un train pour Thurso, de Thurso, prendre un ferry pour Stromness et à la sortie du ferry, emprunter un taxi pour Kirkwall, rien que de prononcer les noms, les yeux brillent.   Plus on avance vers le Nord, plus le soleil est lumineux, plus le train est tortillard, plus les ferrys se multiplient comme poussins au printemps. Une seule boutique loue, vend et répare les vélos à Kirkwall. Une seule pour soixante-dix îles dont une vingtaine seulement sont habitées et chaque fois il faut préciser les lieux de rencontre, régler nos montres à l’heure qui une heure de moins depuis l’Eurostar et Kirkwall est à la même latitude que Bergen en Norvège. Oubliez les dîners à la chandelle, ici, on soupe à dix heures du soir avec des lunettes de soleil. Le ciel s’obscurcit légèrement quand nous sommes endormis. Dans les 70 îles, vingt mille habitants. 4000 à Kirkwall, 2000 à Stromness. Une île comporte 21 habitants. Principale activité, devant le tourisme, l’agriculture : élevage de moutons, de bovins, production de viande et de produits laitiers. Pas de chômage. Les jeunes vont étudier sur le continent et reviennent rarement.

Résumons : les moyens de transports ont été le train, la marche à pied, la bicyclette, les escaliers mécaniques, les ascenseurs, le taxi, les tapis roulants, les ferrys. Nous aurions pu faire le tour de Kirkwall en carriole tiré par des chevaux mais le refus a été unanime. Dans les chambres, une seule langue coule. Inutile de chercher des journaux français dans les points presse. On n’y trouve The Scotsman,The Inslandman, The Orcadian, et des brochures touristiques et publicitaires qui vantaient le pays où nous avions de toute manière décidé de nous rendre.  The Scotsman est un journal complet qui parle du monde et de l’Ecosse.

         La gare du Nord étant proche, nous décidons de nous rendre à pied, qui est notre premier moyen de transport, nous marchons devant et la valise à roulette nous suit, avec une musique qui varie selon le revêtement, pavés, goudron, gravier, terre battue, gazon. Nous, c’est elle et moi, dans un monde qui change, il n’est pas inutile de le rappeler. Nous arrivons Gare du Nord en passant devant la future salle de consommation à moindre risque dont le chantier est déjà engagé. Les riverains râlent, mais à sept heures du matin, on ne les entend pas. Nous longeons la longue file de taxis, Nord-Est de la gare du Nord. Ce lieu est à lui tout seul une condamnation de l’économie de marché et de la libre concurrence.  Ou bien une longue file de voyageurs attend un taxi, ou bien une longue file de taxis attend les voyageurs. Il en est ainsi depuis que je fréquente ce lieu. Est-ce spécifique à la Gare du Nord ? À la Gare Montparnasse, qui m’est familière depuis une quinzaine d’années, il me semble que file de voyageurs et file de taxis s’harmonisent davantage.

Nous nous détachons immédiatement des voyageurs modestes qui prennent un train pour La Courneuve ou Beauvais et nous nous dirigeons fièrement vers l’escalier majestueux qui grimpe vers Eurostar. En haut des marches, pas d’agents de la SNCF en gilets jaunes, pas de contrôleurs à casquette, pas de porteurs pressés. Des policiers, des douaniers, des chiens renifleurs, des gendarmes, des sas de sécurité, comme pour un vol long-courrier. Une poussette est soigneusement examinée, les pochettes sont vidées, les roues auscultées, le toit ouvrant palpé. Pendant ce temps, le papa porte un bébé de six mois qui sous son pyjama porte peut-être une couche pleine d’explosifs. Et que je te pose la valise sur le tapis roulant, et la veste, plus les clés, le téléphone portable, plus la canne à marcher, pouvez-vous marchez sans canne, monsieur ? me demande un uniforme. Goujat !

         Deux heures trente jusqu’à Londres, Gare de Saint-Pancras, un terminal tout neuf situé à un quart d’heure de marche de King’s Cross. Nos passes se transforment en billets pour Edimbourg, thé au lait  au gout d’éternité, un croissant qui a bien voyagé. Dans le train pour Edimbourg, nous retrouvons les nuisances européennes des voyageurs modestes : des bébés qui hurlent et des mamans qui hurlent encore plus fort d’arrêter de hurler, tandis que les papas disent aux mamans qu’elles devraient s’arrêter de hurler. Des Chinois qui n’ont pas le droit d’avoir plusieurs enfants hurlent dans leur téléphone portable.

         A Edimbourg, visite du château, des musées littéraires, du mausolée à Walter Scott (voir photos). Un collègue de Pat nous invite à un club de consommation de whisky. Un vrai club, fréquenté par les membres du club, qui ont le droit d’inviter deux ou trois personnes mais pas plus et pendant que notre hôte signe le cahier d’émargement, B. et Pat se précipitent dans les escaliers tapissés. Dans ce club, on déguste les whiskys du monde. Uniquement du malt. Au moins dix ans d’âge. Vieilli dans des futs de chêne neuf ou des tonneaux de sherry, ou d’autres liqueurs. Nous sommes cinq, Martin nous amène cinq verres, chacun a un verre devant soi, on trempe les lèvres, puis on tourne, comme des chaises musicales, sauf que là, il y a cinq verres pour cinq personnes. On goute, on trempe les lèvres, on se récrie, on dit smooth, ou strong, ou fierce, ou mellow ou costaud. 57 degrés d’alcool au lieu des 42 fillette dans les grandes surfaces , ça déchire, c’est au moins cinquante livres la bouteille la moins chères. 57 degrés, c’est pas pour les gonzesses. Cinq cents livres la bouteille, c’est pas pour les paumés. Rien que de toucher une bouteille à ce prix, on se sent très important.

         Les antiinflammatoires réduisent la douleur. Je suis né avec un pied bot, je mourrais avec une sciatique, c’est avec les membres inférieurs que je me sens supérieur.

         Pat et Tony ont une ferme. Ils élèvent des animaux domestiques : des ânes, de chevaux, des chiens, des chats, des poules, des canards. Chaque poule, chaque canard, est nommé, portant un nom il devient un individu, une personne, un être aimé et il n’est plus possible de les tuer pour les consommer. Ce serait du cannibalisme. Mais les œufs ? Oui, on mange les œufs. Donc, on mange des fœtus brouillés, ou frits, ou durs. Plongés vivants dans l’eau bouillante comme des écrevisses, entendez-vous le fœtus se débattre dans les gros bouillons ? Est-ce qu’en cas de guerre et de famine, est-ce que Pat sacrifierait ses poules et ses canards pour nourrir sa famille ? Elle répond oui sans hésiter. Tony dit qu’il ne mangerait jamais ses ânes. Lequel des deux aime davantage sa famille ? Petits déjeuner avec fœtus brouillé et Ernest le cochon sur toast.

         Dans le train d’Edimbourg à Inverness, tout le monde est gentil, même le contrôleur. A mesure que l’on s’éloigne des grands centres urbains, la gentillesse se densifie. Nous marchons de l’hôtel jusqu’au canal calédonien, demandons le chemin, épuisé. Une dame regarde ma canne et nous propose de nous ramener en voiture. Le monde est gentil et une canne ouvre les portes, ferme les fenêtres, lève les culs qui m’offrent des sièges. Bière dans un pub écossais. Bière écossaise. Toutes les bières écossaises sont rousses.

         Pat suggère de noter les restos et de faire une liste. Ainsi naissent les guides gastronomiques. Tout le monde consulte ses messages, sauf Tony qui s’éclaire encore à la chandelle. Il faut se dépêcher car seule la première demi-heure est gratuite. Elle attend les réponses des invités à un mariage de sa fille. Nous, on n’est pas invités et je le dis tout crument, pourquoi ne sommes-nous pas invités ? Quand je vois la liste des mariages auxquels nous, B et Moi. (si je m’appelais Ben, notre couple serait Bed and Breakfast), ne sommes pas invités, je suis chaque fois plus triste, car la liste s’allonge, même si on marie moins, en chiffre absolu, il y a de plus en plus de mariages auxquels nous ne sommes pas invités.

Le petit train qui nous mène à Thurso, d’Inverness, travers des lacs, des montagnes, des moutons, des troupeaux de cerfs, de daims, des lochs, des Ness qui veut dire rivière, et avant même d’arriver aux Orcades, on en a pris plein les mirettes. B mitraille. Mitrailler du train, en général, ce n’est pas conseillé. Le reflet de la vitre trouble les images, d’autre part, la vitesse du train brouille les lignes, mais malgré tout, il en reste quelques-unes de bonnes, comme les peintures murales, photograhiées quand le train est à l’arrêt. Les petites gares sont désertes, le chef de gare qui sifflait les départs a disparu. Les guichets sont fermés, les sorties murées. Un artiste a peint en trompe-l’œil un chef de gare qui se penche à la fenêtre, les joues gonflées, avec son sifflet à roulette, comme les agents de police d’antan. Une employée tamponne un ticket dans un guichet factice. Le personnel vivant est remplacé par des peintures murales, moins chères, qui ne partent jamais en retraite. La gare est devenue un musée. Parfois elle est vendue et devient une maison privée.

Le petit train d’Inverness à Thurso ressemble à ces trains de montagne qui font la joie des touristes. Les mots me manquent pour décrire les moutons blancs dans les montagnes noires, les troupeaux de cerfs, la neige sur les sommets. Je suggère de vous transférer les photos des moutons blancs dans les montagnes noires, des daims, la neige sur les sommets, les gares abandonnées, décorées, achetées. Nous débarquons à Thurso dans une ville déserte, sous un soleil d’aluminium. Une promenade en bord de mer nous amène dans un café, The Tempest où se réunit tous les mercredi soir un groupe de militants radicaux qui discute du monde, projette des vidéos, écoutent des chansons. La serveuse nous vante les mérites de ces soirées mais nous préférons un pub avec des musiciens folk. Un violon, un banjo, un accordéon, chacun arrive plus tard que l’autre, ils jouent ensemble parce qu’ils aiment jouer ensemble et ne s’occupent guère des clients qui les prennent en photo. Une touriste les photographie sous tous leurs angles, de près, de loin, les mains sur les cordes, la bouche sur la cornemuse. Elle racontera avec emphase sa soirée à Thurso. Nous nous resterons simples. Ecouter de la musique à Thurso, ce n’est quand même pas le bout du monde et de nombreux cars de touristes chinois ou japonais ont du faire l’expérience et prendre des dizaines de milliers de clichés.

         A l’entrée, une affiche nous prévient : l’établissement fait partie d’une association qui se nomme pubwatch. Si vous ne vous tenez pas bien, que vous buvez trop, que vous cassez les verres, que vous vous battez, que vous insultez ou harcelez les clients, , violence, n’importe quoi, on sait bien ce que ça veut dire, ne pas bien se tenir, depuis les semelles sur la banquette jusqu’à la cigarette dans la bière du voisin, cette châine qui s’appelle pubwatch vous inscrira sur une liste noire et non seulement vous serez expulsé d’ici, mais aucun pub de l’association pubwatch n’acceptera de vous recevoir. Nous nous comportons correctement et nous pourrons retourner à Thurso boire de la bière et écouter des musiques. A Kirkwall, nous retrouverons d’autres musiciens, un orchestre d’amateurs, des violonistes, une accordéoniste qui les quittera avant la fin, une pianiste qui ressemble à une professeur de piano, cheveux blancs, jupe qui lèche des escarpins vernis, un chef d’orchestre, violoniste lui aussi, qui lance les airs. On les photographie.

         A Thursoe, nous marchons vers le canal avec Tony, là où une dame nous a aimablement proposé de nous ramener où nous voulions, mais de toute manière, à Thurso, ça ne peut pas être très loin. Nous passons devant une résidence pour personnes âgées. Des dames et des messieurs dorment dans les fauteuils. Si je perds mon autonomie, je demanderai à mes proches de m’envoyer en Suisse, dit Tony. On ne choisit pas. Eternelle conversation de ceux qui approchent l’âge d’en parler quand ils passent devant les fenêtres d’une résidence qui pour cette raison donne généralement sur un jardin intérieur et pas sur l’extérieur, car on n’imagine pas un four crématoire avec des cercueils en vitrine. Comme si on pouvait choisir. Mais qu’est-ce qu’on choisit vraiment dans la vie ?

         J’allais oublier : tout le temps que nous sommes restés sur les îles, le ciel était clair, le soleil lumineux, la mer d’huile, la crainte du mal de mer vite calmée. Nous avons vu les falaises de l’ile de Hoy avec son viel homme (voir photo), une pierre sculptée par les vents et les vagues. A Kirkwall, l’église très catholique de Saint Magnus, et ses énormes piliers cylindriques. Il devait rencontrer son adversaire, trente guerriers de chaque côté. Son ennemi est venu avec trois cents guerriers et Magnus a été torturé et assassiné. Il est devenu un saint. 

Le journal local, The Orcadian, consacre deux pages aux salaires des conseillers municipaux, de leurs notes de frais et de leur assiduité aux séances et aux commissions.

Vendredi 7 juin. Les côtes sont difficiles. La douleur frappe aux genoux. Manque d’entraînement, trop d’assistance électrique et trop de whisky. Une chapelle (voir photo) a été construite par des prisonniers de guerre italiens qui ont aussi construit des digues de pierre  (nommées churchill barriers) parce qu’un sous-marin avait coulé un bateau britannique en se faufilant parmi les épaves censées interdire l’accès. On nous parlera beaucoup dans les tours guidés ou dans les dépliants touristiques du rôle joué par les Orcades dans les deux premières guerres mondiales. Dans ces îles où tout est calme, l’histoire lointaine et les guerres récentes recréent les drames sans lesquels une communauté s’assoupit.

Le chauffeur du bus porte un micro-cravate, il se présente : je suis orcadien. Je vis ici. C’est un excellent guide. Il nous montre les barrières Churchill, les endroits où les bateaux ont coulé, où les avions se sont crashés, les îles ont participé à la Seconde Guerre mondiale. Des monuments aux morts le confirment.  Il nous montre les barrières churchill, les bateaux coulés, les avions crashés.

Déjeuner dans un resto communautaire. Le personnel est très jeune et bénévole. Gentils, pas efficace. Il est compliqué d’obtenir un verre d’eau. Les pâtisseries sont cuisinées par les habitants du village. Qui est payé ? Sont-ils payés ? Comment paient-ils leur loyer ? la discussion se poursuit sur la société idéale, sans argent.

Dans the Scotsman : la majorité des jeunes de moins de 25 ans est contre l’indépendance.

Une heure et demie d’arrêt pour visiter un village préhistorique, cinq mille ans avant JC, Skara Brae. Visite de la maison du laird qui a découvert le village, musée, visites de pierres levées, puis balade encore à vélo et retour à l’hôtel Kirkwall, whisky. Fatigue.

Deux cyclistes grisonnants soufflent sur la pente. Devant loin devant, deux cylistes femmes montent gaillardement la même côte. Des regards se moquent des hommes à la traîne, les plaignent d’être ainsi dépassés. Ils ont tort. Cette disposition de la course prouve que les deux messieurs grisonnants ont comme compagnes de jeunes et jolies minettes en pleine forme.

Dimanche 9 juin, déjeuner face au port. Un navire de croisière est ancré, débarque par navettes de cent cinquante passagers tous les vacanciers qui vont envahir Skara Brae et l’église Saint Magnus. Et les pierres levées. La population de Kirkwall va doubler ou tripler. Nous fuyons dans le ferry pour l’île de Shapinsay. Café pudding, vélo soleil. Le château a été racheté par un banquier qui veut racheter toute l’île pour lui tout seul mais les habitants résistent. Encore un autre village préhistorique, un taureau chef de troupeau qui harcèle son bétail. B glane la laine sur les barbelés. Dans l’île de Shapinsay, quelques fermes, des moutons, des vaches, une voiture qui dit bonjour en passant, les routes à voie unique sont parfois renflées sur le côté pour les croisements. Les sommets sont sans visilbité (blind summit). On se remet à parler des soucis de la maison, des mariages, des réunions de juin, du taxi qui vient nous chercher à cinq heures pour nous ramener au ferry de Stromness jusqu’à Thurso, puis direction Inverness les gares de Londres et Paris by night.

Souper dans un pub face au port. Les bateaux de croisière ont levé l’ancre. Kirkwall a retrouvé son calme.  

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