jeudi 18 avril 2019

rompre avec le passé


Pour rompre avec son passé, il faut rompre avec les objectifs de ce passé. On ne peut pas rompre avec le communisme si l’on conserve les objectifs du communisme. On ne peut pas rompre avec le terrorisme nationaliste si l’on conserve les objectifs du séparatisme.

Dans ma vie de communisme, deux grands piliers assuraient l’édifice. Le premier était l’annonce d’une société de bonheur et d’égalité par l’élimination de la bourgeoisie capitaliste. Le second était que cet objectif ne pouvait être atteint que par la détermination, le courage, le sacrifice, d’une avant-garde composée des meilleurs éléments de la classe ouvrière et d’une partie des couches intellectuelles qui acceptait de se mettre au service de la révolution. Pour éliminer la bourgeoisie capitaliste, il fallait une période dite de dictature du prolétariat qui déblaierait le terrain pour l’éclosion d’une nouvelle société.

Ces deux piliers étant  absorbés, le monde s’éclairait d’un avenir lumineux. Tous les matins, les militants se levaient d’un pied martial, chaque parole, chaque action, chaque manifestation, les rapprochaient du Grand Soir. Le monde se partageait en adversaires destinés à disparaître, dont la hargne à notre égard signait l’arrêt de mort. Des ouvriers  aussi, qui n’avaient pas encore acquis la science prolétarienne et trompés par les sociaux-démocrates,  croyaient qu’on pouvait aménager le capitalisme. Et puis les couches moyennes, commerçants, cadres, intellectuels, médecins, enseignants, qui s’intègreraient dans la nouvelle société à condition de reconnaître le rôle dirigeant de la classe ouvrière. A ceux qui émettaient des doutes sur cette nouvelle société, nous montrions les réalisations, les succès, des pays où la révolution communiste l’avait emporté. Les ouvriers étaient musclés, les paysannes roses de joue, les crèches se multipliaient et le métro de Moscou apportait le Louvre aux masses laborieuses. Bien sûr les partisans de l’ancien régime résistaient, et la police politique veillait au grain, emprisonnait, rééduquait. Elle était le bras armé de la dictature du prolétariat. Comme la révolution française, la révolution bolchevique ne pouvait éviter la case terreur.

Les partis qui revendiquent expressément cet héritage ont quasiment disparu de la scène politique. Mais il reste de fougueux partisans de cet objectif. On les reconnaît à leur description du système démocratique comme une dictature des puissants qu’il faut renverser par tous les moyens. Grace à eux, les anciens partisans de la dictature du prolétariat reprennent des couleurs, ressortent les vieilles lunes sur la dictature du capital qu’il faut remplacer par la dictature du peuple. Il leur manque l’équivalent du modèle soviétique, la Chine, Cuba et le Venezuela présentent moins d’attraits.

Au Pays Basque espagnol, la lutte armée a été balayée par la société civile et le débat fait rage sur le récit des années de terreur. Le Goulag d’ETA était-il justifié ? Le KGB basque était-il héroïque ? Les etarras étaient-ils une avant-garde léniniste ou des terroristes fascisants ? On discute. Au Pays Basque français qui n’a pas connu la même terreur, les objectifs séparatistes s’imposent dans la vie quotidienne avec la douceur de slogans qui n’ont pas été abîmés par le sang versé. Tous parlent du Pays Basque nord et du Pays Basque sud, les écoles suppriment la frontière entre France et Espagne, réunifient les sept provinces. Les partis séparatistes ont du mal à émerger tant leurs objectifs sont familiers à tous les autres partis. Entre EH Baï et les discours de Jean-René Etchegaray, l’écart se rétrécit et le séparatisme peine à se faire reconnaitre.

Pour rompre avec son passé, il faut rompre avec les objectifs de son passé. Au Pays Basque français, l’histoire se joue à l’envers. En adoptant les objectifs de la terreur, la classe politique recrée la légitimité des terroristes.

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