Comment surmonter
cette discussion durable entre ceux qui accusent le PS de délaisser les couches
populaires et ceux qui disent qu’il faut « les contourner ».
Discussion qui se nourrit de sondages, de statistiques, de la sociologie des
résultats électoraux.
Cette discussion est
un piège. La misère, l’exploitation, l’esclavage, réduisent la part d’humanité
de ses victimes. Si la misère rendait beaux et intelligents, pourquoi
faudrait-il la combattre ? Les mouvements sociaux peuvent se développer
quand naissent d’autres visions de l’avenir que l’accablement du présent. Quand
l’idée se propage qu’un autre monde, qu’une autre vie, est possible. Comment
naissent et se développent ces visions d’avenir ? Dans la tradition
marxiste, les théories libératrices ne pouvaient pas naître spontanément des
prolétaires, elles devaient être apportées du dehors, par des révolutionnaires
professionnels, des cadres et des intellectuels dont la formation était le
premier objectif d’un parti communiste. Dans les mouvements sociaux paysans,
les prêtres, les étudiants, les cadres militaires, les enseignants, les
avocats, fournissaient un encadrement efficace et inventaient des sociétés
différentes. Les mouvements nationaux ont aussi puisé dans les cadres
religieux, militaires, étudiants, écrivains, pour construire une vision
d’avenir sans laquelle l’enfermement dans le présent est inévitable. Le
syndicalisme de l’Europe du Nord a été une puissante école de formation des
cadres ouvriers.
Sans visions
d’avenir, il reste des ambitions individuelles, des carrières qui arrachent les
individus à leur communauté sociale ou ethnique. Exil géographique, exil
ethnique, exil social. En l’absence de projet collectif, les réussites
individuelles assèchent une communauté sociale ou ethnique de ses éléments les
plus entreprenants et ceux qui restent sont encore plus démunis d’avoir perdu
des cadres potentiels. Les migrations du 19ème siècle témoignent de
cet appauvrissement des campagnes que quittèrent les plus jeunes et les plus
hardis.
Ces cadres issus du
peuple ouvrier ou paysan avaient un rôle d’entraînement, mais aussi de
stagnation. Leur pouvoir dépendait de leur rareté. Le nombre devait être privé
des outils de sa libération pour affermir le pouvoir des maîtres du jeu.
Aujourd’hui, en
Europe, les projets collectifs ne mobilisent plus. Il reste ici et là des
séquelles qui ne sont pas sans importance, mais des séquelles. Des
révolutionnaires héritiers du 19ème siècle qui veulent rejouer la
prise de la Bastille
et misent sur la spontanéité donc sur l’inculture pour conserver une influence.
Des prophètes du nationalisme qui s’appuient sur les éléments les plus démunis
socialement et intellectuellement. Des prophètes religieux qui tous disent, les
uns et les autres : la société vous dit que vous n’êtes rien, mais vous
êtes supérieurs aux autres par votre seule appartenance à une terre, ou à une
tradition ou à une église.
Le PS est mal armé pour lutter disputer le terrain
aux prophètes. Il a contribué naguère à la chute des utopies meurtrières. Il conserve
une certaine nostalgie des grands bouleversements. Mais il attire les
compétences plus que les engagements. Justice sociale et finances vertueuses
composent un ensemble tiède. Pourtant,
en observant le monde autour de nous, il est possible de distinguer des régimes
dont la démocratie est absente, des théocraties, des oligarchies, des
libéraux-communistes, des populo-castristes, des droites arrogantes. Dans
l’ensemble, l’humanité se porte mieux, notamment les plus démunis, sous un
gouvernement social-démocrate. En attendant de trouver un vaccin contre la
misère, on réduit les risques. Les révolutionnaires fiévreux crient à la
trahison et les sociaux-démocrates tissent des filets de sécurité, investissent dans la recherche, misent sur les
réformes.
Peut mieux
faire ? Certainement. S’intéresser aux « pauvres », aux couches
populaires, c’est encourager les éléments les plus actifs et leur faire une
place dans les partis, les élus, les administrations… Leur offrir des
formations, des places. Ne pas cumuler les responsabilités dans tous les
domaines contribue au fonctionnement de l’ascenseur social.
« S’occuper des pauvres » ou des
délaissés, c’est aussi s’intéresser à l’interface entre les services publics et
les quartiers ou les individus à la dérive. S’intéresser aux couches
populaires, c’est leur assurer un service public qui ne les méprise pas, des
enseignants de qualité, des policiers compétents, des médecins capables. Si les
plus démunis se trouvent en face d’aussi démunis qu’eux, ils se disent, bon,
c’est comme ça, on nous envoie du personnel qui nous ressemble. Dans les
interventions dans les favelas de Rio, les
policiers sont mieux payés et mieux formés. L’investissement prioritaire
dans la formation des personnels d’éducation, de santé et de justice, loin
d’être « clientéliste » est une contribution à la solidarité sociale.
S’intéresser aux couches populaires,
c’est miser sur leur intelligence, leurs capacités, leur invention, et dénoncer
en permanence ceux qui leur tendent des miroirs aux alouettes.
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