mercredi 10 octobre 2012

couches populaires


    Comment surmonter cette discussion durable entre ceux qui accusent le PS de délaisser les couches populaires et ceux qui disent qu’il faut « les contourner ». Discussion qui se nourrit de sondages, de statistiques, de la sociologie des résultats électoraux.

     Cette discussion est un piège. La misère, l’exploitation, l’esclavage, réduisent la part d’humanité de ses victimes. Si la misère rendait beaux et intelligents, pourquoi faudrait-il la combattre ? Les mouvements sociaux peuvent se développer quand naissent d’autres visions de l’avenir que l’accablement du présent. Quand l’idée se propage qu’un autre monde, qu’une autre vie, est possible. Comment naissent et se développent ces visions d’avenir ? Dans la tradition marxiste, les théories libératrices ne pouvaient pas naître spontanément des prolétaires, elles devaient être apportées du dehors, par des révolutionnaires professionnels, des cadres et des intellectuels dont la formation était le premier objectif d’un parti communiste. Dans les mouvements sociaux paysans, les prêtres, les étudiants, les cadres militaires, les enseignants, les avocats, fournissaient un encadrement efficace et inventaient des sociétés différentes. Les mouvements nationaux ont aussi puisé dans les cadres religieux, militaires, étudiants, écrivains, pour construire une vision d’avenir sans laquelle l’enfermement dans le présent est inévitable. Le syndicalisme de l’Europe du Nord a été une puissante école de formation des cadres ouvriers.

    Sans visions d’avenir, il reste des ambitions individuelles, des carrières qui arrachent les individus à leur communauté sociale ou ethnique. Exil géographique, exil ethnique, exil social. En l’absence de projet collectif, les réussites individuelles assèchent une communauté sociale ou ethnique de ses éléments les plus entreprenants et ceux qui restent sont encore plus démunis d’avoir perdu des cadres potentiels. Les migrations du 19ème siècle témoignent de cet appauvrissement des campagnes que quittèrent les plus jeunes et les plus hardis.

     Ces cadres issus du peuple ouvrier ou paysan avaient un rôle d’entraînement, mais aussi de stagnation. Leur pouvoir dépendait de leur rareté. Le nombre devait être privé des outils de sa libération pour affermir le pouvoir des maîtres du jeu.

     Aujourd’hui, en Europe, les projets collectifs ne mobilisent plus. Il reste ici et là des séquelles qui ne sont pas sans importance, mais des séquelles. Des révolutionnaires héritiers du 19ème siècle qui veulent rejouer la prise de la Bastille et misent sur la spontanéité donc sur l’inculture pour conserver une influence. Des prophètes du nationalisme qui s’appuient sur les éléments les plus démunis socialement et intellectuellement. Des prophètes religieux qui tous disent, les uns et les autres : la société vous dit que vous n’êtes rien, mais vous êtes supérieurs aux autres par votre seule appartenance à une terre, ou à une tradition ou à une église.
Le PS  est mal armé pour lutter disputer le terrain aux prophètes. Il a contribué naguère à la chute des utopies meurtrières. Il conserve une certaine nostalgie des grands bouleversements. Mais il attire les compétences plus que les engagements. Justice sociale et finances vertueuses composent un ensemble tiède.  Pourtant, en observant le monde autour de nous, il est possible de distinguer des régimes dont la démocratie est absente, des théocraties, des oligarchies, des libéraux-communistes, des populo-castristes, des droites arrogantes. Dans l’ensemble, l’humanité se porte mieux, notamment les plus démunis, sous un gouvernement social-démocrate. En attendant de trouver un vaccin contre la misère, on réduit les risques. Les révolutionnaires fiévreux crient à la trahison et les sociaux-démocrates tissent des filets de sécurité,  investissent dans la recherche, misent sur les réformes.

     Peut mieux faire ? Certainement. S’intéresser aux « pauvres », aux couches populaires, c’est encourager les éléments les plus actifs et leur faire une place dans les partis, les élus, les administrations… Leur offrir des formations, des places. Ne pas cumuler les responsabilités dans tous les domaines contribue au fonctionnement de l’ascenseur social.

      « S’occuper des pauvres » ou des délaissés, c’est aussi s’intéresser à l’interface entre les services publics et les quartiers ou les individus à la dérive. S’intéresser aux couches populaires, c’est leur assurer un service public qui ne les méprise pas, des enseignants de qualité, des policiers compétents, des médecins capables. Si les plus démunis se trouvent en face d’aussi démunis qu’eux, ils se disent, bon, c’est comme ça, on nous envoie du personnel qui nous ressemble. Dans les interventions dans les favelas de Rio, les  policiers sont mieux payés et mieux formés. L’investissement prioritaire dans la formation des personnels d’éducation, de santé et de justice, loin d’être « clientéliste » est une contribution à la solidarité sociale.

            S’intéresser aux couches populaires, c’est miser sur leur intelligence, leurs capacités, leur invention, et dénoncer en permanence ceux qui leur tendent des miroirs aux alouettes. 

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