jeudi 20 mars 2014

jusqu'au bout

         Elle est nonagénaire. Elle vit en résidence, parle difficilement. Quand sa famille va la voir, elle sourit, ses yeux brillent, mais elle ne bouge pas, les paroles sortent hachées. Parfois, elle en a marre, elle est fatiguée, épuisée.

         Au cours de ses rencontres avec la psychologue de la résidence,  elle raconte sa vie passée et présente. De ses rencontres est né un Journal de la vieillesse bouleversant de lucidité, de tendresse. Des pages saisissantes. Sa vie passée et surtout sa vie présente. Elle rend hommage à sa famille, qui vient quand elle peut, mais ils ont leur vie, leur travail, leurs relations, ils ne peuvent pas être tout le temps là, elle ne leur en veut  pas, surtout ne pas les culpabiliser.

         Finalement, dit-elle, elle passe tout son temps avec le personnel de la résidence, les soignantes, les infirmières, les animatrices, les kinés. Ce sont eux dit-elle, qui deviennent peu à peu sa vraie famille. Elle leur rend hommage : leur travail est dévalorisé, alors qu’il  demande dévouement, intelligence, compétence, générosité.

         Elle demande que les pages de son journal qui sont consacrées au personnel soient affichées dans le salon. L’ensemble est imprimé, agrafé, et donné aux proches. Les conversations continuent avec la psy.

         Cette personne épuisée, en fin de course, donne parfois l’impression d’avoir déjà coupé les fils la reliant au monde. D’être déjà partie ailleurs. Et voici qu’elle a dicté des pages d’une grande intelligente. En les lisant, les visiteurs la considèrent autrement. Ils voient une tête où bouillonne les idées, les images, les raisonnements. Le regard devient différent. Le visiteur a lu et lui a dit cela. La vieille dame le regarde et lui dit « je bois du petit lait ».

         Le travail éducatif, le travail social, doivent d’abord aider  à percevoir chez ceux qui vivent les situations les plus dures une lumière qui ne cesse de briller.   



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