lundi 29 juin 2015

civilisations

J’ai connu la deuxième guerre mondiale. Cent millions de morts. L’exode, la fuite sur les routes. Puis les fins de guerres coloniales. Des millions de morts en Algérie, en Afrique noire, en Indochine, au Kenya, en Inde, à Madagascar. Puis la guerre froide, les crimes du stalinisme, la famine en Chine, en Afrique. Des bandes armées en Colombie, au Pérou, L’empire soviétique s’est effondré. Quelques conflits armés résiduels en Irlande du Nord, au Pays basque, en Corse. Nous étions à peu près tranquilles. Nous pouvions voyager à peu près partout dans le monde, partout dans le monde nous attendaient des hôtels cinq étoiles, des piscines entourées de serviteurs zélés, des safaris.

Puis une autre période s’ouvrit où les mouvements de population furent plus compliqués. Apparurent de nouvelles guerres dans l’ancienne Yougoslavie, puis en Irak, au Liban, en Lybie, au Yémen. Pendant toutes ces années, un conflit permanent, Palestine vs Israël. Les déplacements se firent plus difficiles. D’une part, les populations locales fuyaient les combats et cherchaient une sécurité dans les pays en paix, dont les nôtres et la pression se fit plus forte, d’où le renforcement des contrôles aux frontières. D’autre part, les groupes armés s’en prirent aux occidentaux, touristes ou humanitaires, coopérants ou chercheurs, médecins et biologistes et plus récemment, aux touristes qui cherchent le soleil et la mer.

Pire encore, des radicalisés s’en prirent directement aux Occidentaux là où ils habitent, à New York, en France, dans les écoles, les entreprises. Là, non seulement nous ne pouvions plus voyager partout, mais même sur place, on peut désormais craindre le danger extrême.

Nous en sommes là. On ne peut plus se bronzer en paix sur les plages tunisiennes, on ne peut plus prier dans les mosquées chiites, on ne peut plus visiter une exposition sans ouvrir son sac. Même dans des villages éloignés des grands axes, on décapite. On kidnappe des infirmières. On tue des dessinateurs.

En dehors de l’État islamiste, qui peine à exister en tant qu’État, la terreur a partout reculé comme moyen politique. Des bandes armées tentent de s’assurer un territoire où s’installer des arrières, mais pour l’essentiel, elles existent en tant que bandes armées, illégales et pourchassées partout. Elles attirent des combattants comme les mafias peuvent attirer de jeunes exaltés dans les grandes villes nord-américaines ou italiennes. Parfois, ces groupes mettent la main sur des municipalités, sur des entreprises de statut public, et alors posent un grave problème de démocratie. Qu’est-ce qui l’emporte du fusil ou du bulletin de vote ?

Sur les aspects internationaux du conflit que tous les pays ciblés s’organisent et s’unissent pour mettre hors d’état de nuire les criminels. En ce qui concerne le pays où nous vivons, nous pouvons refuser d’avoir peur, de devenir ce que nos adversaires souhaitent. Nous pouvons nommer l’adversaire en évitant les amalgames. Nous pouvons combattre la xénophobie, le repli identitaire, le dérapage. Comme celui du premier ministre, Manuel Valls. C’est une « guerre de civilisation ». Deux dérapages. Une guerre ? Une guerre se mène entre soldats. On fait ainsi aux djihadistes le cadeau de transformer des criminels en soldats d’une armée régulière qui demanderont qu’on leur applique la convention de Genève s’ils sont arrêtés. Ensuite, « civilisation ». Une civilisation contre une autre ? Une guerre à laquelle ne peuvent participer que ceux qui partagerait notre « civilisation » ? Où tous ceux qui ne partageraient pas cette « civilisation » seraient des ennemis potentiels ? Ce dérapage est propre à tous les nationalismes guerriers qui considèrent qu’une nation ou un groupe ethnique est l’héritier de valeurs ancestrales et tous ceux qui ne les partagent pas sont des étrangers, des ennemis, des criminels potentiels. Une « cinquième colonne ». Les socialistes protestent contre l’expression « cinquième colonne », mais ils doivent protester contre l’utilisation de « guerre de civilisation » qui contient le concept de « cinquième colonne » : tous ceux qui ne partagent pas notre civilisation font potentiellement partie de cette cinquième colonne. Guerre de civilisation alors que la majorité des victimes des djihadistes sont des musulmans ?

Les tenants d’une société larvaire s’arrogent le droit de désigner ceux qui ne peuvent pas partager leur « civilisation»: les catholiques dans un pays protestant, les protestants dans un pays catholique, les Juifs un peu partout, les musulmans en Occident, les hexagonaux en Corse, les républicains au Pays basque, les homosexuels, les femmes voilées ou celles qui ne le sont pas, les athées dans les pays chrétiens.

Tout ce qui nous fait ressembler un peu ou beaucoup à l’adversaire nous affaiblit.



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