mercredi 13 septembre 2017

anniversaire


Rafaël a soixante ans, il est le mari de la belle-fille d’un frère disparu dont le fils, donc son beau-frère, par alliance, est resté propriétaire de la grande propriété familiale nommé les Fouilloux et les soixante ans de Rafaël sont l’occasion, le prétexte, la nécessité, l’urgence, le plaisir, d’une réunion de famille.

Une partie de la famille vient de Paris, l’autre de Bordeaux, encore d’autres de Biarritz. Moi personnellement, je suis le compagnon, le partenaire officiel, l’ami de cœur, de la sœur du frère disparu, donc de la tante du propriétaire actuel des Fouilloux, donc l’oncle par compagnonnage du propriétaire et à ce titre, je suis invité à l’anniversaire des soixante ans de Rafaël, dont je suis le bel-oncle lointain et qui est mon beau-neveu symbolique. La famille est impériale, concluante, mais elle exige des preuves, des analyses de sang, des recherches d’ancêtres. Quand je fus invité aux 80 ans de Tony, seule l’amitié durable a expliqué cette invitation, je n’ai pas besoin d’expliquer généalogiquement, avec un arbre sur le tableau et ses ramures multiples, pourquoi je me suis trouvé à Liverpool. J’étais l’ami de Tony. Alors que je ne peux pas vraiment dire que je suis l’ami de Rafaël,  je l’ai croisé plusieurs fois aux Fouilloux et nous avons certes sympathisé, mais de là à tisser une amitié forte, non, je ne peux pas le dire. Je suis content de le revoir car il a un grand sourire accueillant et sa femme Danièle est chaleureuse. Ils ont des frères, des enfants, des cousins, des amis, des petits copains des enfants. Seront là aussi les neveux et nièces, les petits copains des neveux et nièces, parfois plus que des petits copains, des couples vrais qui vivent en couple et envisagent d’officialiser leur union dans un avenir proche. Il y a aussi des enfants de compagnons ou de compagnes qui comprennent plus rapidement où trouver la télécommande de la console de jeux que le lien qui explique leur présence dans ce pavillon de chasse.

Les trains sont remplis pour une grande partie par des voyageurs qui se déplacent pour des fêtes de famille, plus la famille est grande et plus les trains se remplissent. De ce déplacement ici décrit, un tiers s’est passé dans le train, un tiers aux Fouilloux, un tiers dans une chambre d’hôte.

Les Fouilloux se situent dans la Charente profonde, à une vingtaine de kilomètres de La Rochefoucauld, et une cinquantaine d’Angoulême. Il est possible d’atteindre La Rochefoucauld par train, en changeant à Angoulême. Mais déjà, depuis Biarritz, il faut changer à Bordeaux pour se rendre à Angoulême, car le TGV ne s’arrête pas n’importe où, il est direct de Bordeaux à Paris. Ensuite, pour éviter un nouveau changement à Angoulême, rendez-vous est pris dans la capitale de la bande dessinée où trône une colonne à la gloire de Goscinny avec une branche familiale très proche et propriétaire d’une voiture permettant de transporter cinq personnes.

Jusqu’à Bordeaux, tout est simple. Il suffit d’acheter un billet et de grimper dans un wagon du TGV 8534, à 9 Heures 49. Deux heures plus tard, nous sommes à Bordeaux. Nous, c’est moi plus la tante du propriétaire actuel des Fouilloux. Elle s’appelle Brigitte. Les choses se compliquent à Bordeaux, car pour atteindre Angoulême où nous sommes attendus, il faut prendre le TGV Bordeaux-Lille qui part dix minutes après l’arrivée du TGV Biarritz Bordeaux. Vous me suivez ? Or, depuis un incident que j’ai déjà relaté, mais je ne peux pas résister au plaisir de la répétition, à la gare Montparnasse, en route vers Biarritz, l’affichage du quai de départ s’est montré dix minutes avant le départ, alors que d’habitude, c’est vingt bonnes minutes, ce qui me laisse largement le temps, même si le wagon est le plus éloigné, genre dix-neuf ou vingt, même si je me déplace lentement depuis que ma jambe gauche a perdu de l’énergie marchante, en général, j’arrive à mon wagon sans ennui. Mais cette fois-là, dix minutes, ce fut très juste. Et comme la voie est courbe, le contrôleur ne me voyait plus en train de me presser pour arriver à mon wagon réservé. Il a sifflé et je me suis précipité, la valise en avant, pour empêcher la fermeture des portes, tandis que la tante du propriétaire des Fouilloux hurlait de terreur, mais finalement j’ai pu me glisser entre la porte du TGV et me retrouver à l’intérieur du wagon avec ma valise. Cet incident aurait pu rester sans conséquence, sans importance, mais il était la répétition exacte de la même scène dans un train italien, où là, il s’agissait de monter dans un wagon avec un vélo et la portière s’est refermée sur le vélo et sur ma hanche et la même tante du propriétaire des Fouilloux, qui à ce moment précis, était plus mon amie de cœur plus que tante du propriétaire des Fouilloux, hurlait de terreur à l’idée d’un découpage de l’objet de son affection. Depuis s’est installée une espèce d’inquiétude devant les correspondances étriquées, les quais déserts, les contrôleurs impatients, les rames en courbe. Je suis à Bordeaux, je dois prendre le TGV pour Lille, la ville où je suis né, il part dans dix minutes, je presse le pas, je vois la rame, elle est sur le quai d’en face, mais loin devant, les roulettes roulent, la canne canne et je vois devant moi le regard inquiet de qui vous savez, inquiète, apeurée.

À peine installés, il faut descendre. Calculez. En TGV, de Bordeaux à Angoulême, il faut trente-cinq minutes. Je lis une dizaine de pages de braises, un roman de Sandor Marai, et déjà on annonce l’arrivée à Angoulême.

J’ai oublié de dire que dans le TGV Biarritz Bordeaux, en prévision d’une correspondance austère, nous étions descendus dans le sas de sortie bien avant l’heure. Le spectacle qui s’offre est catastrophique. Une énorme valise bloque une portière. Trois cyclistes qui descendant aussi à Bordeaux préparent leur vélo. La situation est dramatique. Si la valise nous empêche de descendre, si les trois cyclistes insistent pour placer les vélos en travers, il est désormais certain que nous allons manquer la correspondance. Dieu merci, la valise se trouve du mauvais côté, je veux dire du bon côté pour nous et finalement, nous débarquons les premiers, le contrôleur nous a donné le numéro du quai, ce qui nous donner largement le temps de presser le pas vers le TGV pour Lille, la ville où je suis né.

À Angoulême, nous retrouvons la famille, les copains, les amis. À La Rochefoucauld, nous déposons valise et paquetage au Clos des Cèdres, rue de l’Aumônerie. L’hôtesse qui nous accueille, qui nous donne les clés accrochés à un pompon de foire, est accompagnée par un majordome qui porte les valises et la couve des yeux. Nous apprendrons plus tard qu’elle est la comtesse Santucci, elle a un délicieux accent italien. Comment une aristocrate romaine a-t-elle abouti à La Rochefoucauld ?

Nous ne le saurons pas. Mais nous l’avons deviné. La Comtesse Santucci a été très belle, très riche. Elle fut séduite un infâme aventurier, un chevalier d’industrie, qui l’a complétement ruinée malgré les mises en garde du majordome éperdument amoureux d’elle depuis qu’elle l’avait engagé et qui la servait nuit et jour avec une inépuisable fidélité. Ruiné par cet escroc, la comtesse a réuni ses derniers biens et a investi le capital restant dans l’achat d’une propriété en ruines, ce Clos des Cèdres de La Rochefoucauld, elle a passé plusieurs années à pleurer et à la remettre en état, l’a transformé en magnifique maison d’hôtes, avec piscine. Cette maison a gagné en 2016 le prix de la plus belle maison d’hôte. Le majordome la couve des yeux, il est resté fidèle et amoureux éperdu. Ils nous ont serré la main à l’arrivée et fait la bise au départ. Tel est le Clos des Cèdres à La Rochefoucauld.

L’anniversaire est mexicain, avec un groupe de mariachis du Lot. Ils portent l’uniforme, les grands chapeaux, les pantalons à galons dorés. J’offre à mes voisins de voler leur chapeau, vol récompensé par une somme de cinq euros. Personne ne se risque. De mon temps, pour cinq euros, on aurait traversé la Cordillère des Andes.

Le choix de lecture se limite à deux ouvrages : « Cinq leçons sur les controverses économiques »  et un manuel de japonais.

Nous avons dansé et chanté, bu et mangé, célébré le soixantième anniversaire de Rafaël. Le retour fut  sans incident.  

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