jeudi 14 décembre 2017

crime et châtiment


Procès en appel de quatre membres d’ETA pour la mort d’un policier Jean-Serge Nérin en 2010. En début de procès, l’un des accusés a lu une déclaration au nom d’ETA reconnaissant la douleur provoquée à la famille de la victime. L’organisation se dit « navrée » et a présenté ses condoléances aux proches du policier. Elle reconnaît sa responsabilité : le policier est mort « atteint par des coups de feu tirés par les militants d’ETA ». « Nous sommes profondément navrés par ce décès » « nous voulons exprimer nos condoléances à la famille ».

Ce meurtre dit la déclaration a été une faute. « Un fait de cette nature, survenu après avoir pris la décision d’abandonner les actions à caractère offensif, pouvait décrédibiliser l’engagement pour la paix qui venait d’être pris ».

Les militants « reconnaissent la souffrance engendrée » et en attendent autant de toutes les parties. Les souffrances de tous doivent être reconnues.

Reconnaissons la difficulté de l’exercice. Quand les troupes soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie en 1968, la bataille des mots fit rage au siège du Comité Central du PCF. Fallait-il regretter, fallait-il réprouver, fallait-il être navré ? Tous les synonymes valsaient dans les couloirs. L’important était de ne pas « condamner ». Condamner, c’était vraiment rompre le cordon ombilical avec Moscou. Déjà être navré ou réprouver ou désapprouver apparaissait comme une audace inouïe. Et franchement, ce n’est pas ceux qui avaient envahi le Vietnam et le Cambodge qui allaient nous donner des leçons.

De même les demi-soldes de l’abertzalisme militaire jonglent avec les mots. Pendant longtemps, ils continuaient la guerre en prison et au tribunal, chantaient des chants patriotiques, levaient le poing, Gora ETA. Quand Gaby Mouesca fut arrêté pour le meurtre d’un gendarme, Pierre Pradier le pria instamment de demander pardon à la famille. Demander pardon était impossible. Demander pardon, c’était regretter son geste, c’était condamner les actions militaires de l’organisation et les transformer en actes criminels. Il n’a donc pas demandé pardon et la sanction fut plus lourde. Aujourd’hui, les prisonniers qui restent font un grand pas : ils sont navrés, ils reconnaissent la douleur des familles, ils présentent leurs condoléances. Ils ne demandent pas pardon, ils n’y arrivent pas, et ils demandent qu’on reconnaisse les souffrances de tous les côtés.

Je comprends les difficultés à demander pardon, à regretter des actes regrettables. Mais les souffrances de tous les côtés ? Reconnaître la souffrance du bourreau qui s’est brûlé la main en allumant le bûcher ? Je me rappelle à Belfast un ancien prisonnier qui donnait en exemple des souffrances « de tous les côtés » son genou luxé en sautant du mur de la prison dont il cherchait à s’évader. Les souffrances de tous les côtés : un genou luxé et trois mille morts. Les souffrances partagées ? Le violeur qui a été griffé par sa victime ? Les kapos lynchés à la libération des camps ? Le rhume attrapé par l’épouse dans la salle d’attente de la prison ?

Quand Stéphane Courtois publia le Livre noir du communisme, le PCF dénonça une campagne anticommuniste. Quand se publie au Pays Basque espagnol Vidas Rotas, le relevé méticuleux des victimes de l’ETA, les abertzale militants dénoncent une campagne honteuse contre le peuple basque parce que toutes les souffrances de tous les côtés ne sont pas reprises dans ce livre.

Le débat bat son plein dans les prisons et dans les cidreries. Quand le PCF affirmait le bilan globalement positif du communisme stalinien, il était à quinze pour cent. Depuis qu’il a renoncé à cette formule, il atteint péniblement deux pour cent. Cela mérite réflexion. Faut-il cesser de parler du bilan globalement positif des assassinats de l’ETA ? Regardez, les nationalistes corses n’ont jamais demandé pardon et ils gouvernent l’île. L’ETA n’a jamais demandé pardon et ses  héritiers dépassent les dix pour cent.

        Il faut donc admettre dans les « souffrances partagées » les affres de Raskolnikov si bien décrites dans Crime et châtiment.  

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