vendredi 1 mai 2009


J’ai honte d’être content

Depuis un mois, les patrouilles de police régulières et répétées ont apaisé les rues où je vis. À de nombreux moments de la journée, il y a moins de vendeurs de cigarettes et de contrefaçons, moins d’étals de vente à la sauvette aux deux bouts du marché Dejean, et surtout, moins de dealers et d’acheteurs autour du métro Château Rouge. Quand je sors du métro Barbès ou Château Rouge et que les trottoirs sont de vrais trottoirs où l’on peut se déplacer tranquillement, quand je vais acheter Libération au kiosque à journaux et je ne dois pas, pour accéder au vendeur, me faufiler entre Malborough, Subutex et Vuitton, j’ai beau me raisonner, réfléchir, mobiliser tout ce que j’ai appris depuis que je vis dans la Goutte d’Or, rien n’y fait, je sens que je suis content, je regarde le bitume apaisé, la foule clairsemée, la légalité régner, et ma poitrine se gonfle d’un sentiment d’apaisement bienvenu. Ce qui veut dire premièrement que je ne suis pas indifférent à ces scènes de ventes illicites qui dominent mes itinéraires réguliers et qu’elles doivent me peser plus que je ne le pense, puisque leur disparition provoque un plaisir évident.

En même temps, j’ai honte d’être content. Je sais bien ce que ces flux et ces reflux signifient. Les vendeurs à la sauvette, les dealers, les usagers n’ont pas disparu, leur galère non plus, ils ont poussés ailleurs et rien n’est résolu par ces mouvements saisonniers. Je ne suis pas content parce que leurs problèmes sont réglés, parce qu’ils sont sortis de la galère, parce qu’ils ont trouvé un logement, un métier, un endroit où se poser. Je suis simplement content parce que je ne les vois plus. Je partage donc ce que je déteste le plus: le rejet et l’égoïsme de tous ceux qui veulent que le quartier soit « nettoyé » et qu’importe dans quel état se trouve la population à la dérive pourvu qu’elle ne pollue plus le paysage. C’est pourquoi j’ai honte d’être content.
Mais comme je ne suis pas content d’avoir honte, que j’ai juste honte d’être content, je pousse la porte du local d’EGO et je reprends lecture et correction des rapports d’activité.

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