Réactions à un article sur l'émotion créée par une arrestation à Barbès.
Premières réactions à fleur de peau, comme usager de l’espace
public dont il est ici question. Les vendeurs à la sauvette ne sont pas
aimables. Ils ne sont pas serviables. Ils ne laissent pas passer les poussettes
et quand je me fraye un chemin avec ma canne, je récolte plus d’insultes que de
reculs polis. Si tu veux, on fait le trajet ensemble… Je ne m’étonne pas. La
misère ne rend pas meilleur. C’est même pour cela qu’il faut la combattre, elle
abîme les hommes.
Mes c’est avec la thèse même de l’article
que j’ai des problèmes. Tu décris une émotion comme un processus de formation
de solidarité contre les injustices. Je crois le contraire. L’émotion peut être
admirable ou haïssable, elle est rarement conductrice de politique parce qu’elle
enferme dans l’événement et dans l’instant alors que la politique demande l’ouverture
à l’espace et à la durée. À l’Université de Vincennes, dans les années 1970,
des marchands à la sauvette se sont installés dans le hall d’entrée :
vente des livres volées chez Maspero, de grillades (merguez…), et d’objets
hétéroclites. Le nombre de ces marchands est allé en augmentant, au point d’engorger
les points d’accès aux salles de cours. Les maos de l’époque, tous sortis de
Normale Sup, étaient farouchement hostiles à l’interdiction de la vente. Avec
la majorité du conseil d’administration, j’étais personnellement pour qu’on
appelle la police afin de protéger ce qui pour moi était l’essentiel : la
possibilité de promotion sociale pour des milliers de salariés mise en danger
par le marché sauvage. La police est intervenue, sous la huée des « masses »,
sans ménagement. Parmi les vendeurs, il y avait des mères de famille avec leurs
enfants. Où était l’émotion, où était la politique ? Quand un usager de drogues pète les plombs dans les
locaux d’EGO, il arrive que les responsables fassent appel à la police. Qui
intervient, qui maîtrise, qui menotte. C’est la condition pour que lieu reste
ouvert, efficace, accueillant, soignant. Si
cette intervention provoquait chaque fois une émeute, le local sera vite
fermé. Où est l’émotion, où est la politique ?
Sur
le maintien de l’ordre dans l’espace public. J’utiliserai plutôt l’expression
« maintien de l’équilibre ». Équilibre entre les besoins vitaux d’une
population en galère et les nécessités non moins vitales d’une population qui
travaille et habite dans cet espace de manière légale. L’observateur qui veut
comprendre et le citoyen qui veut contribuer à la démocratie urbaine doit aussi maintenir cet équilibre
dans ses recherches et ses interventions. Sympathie et solidarité pour le
marchand de journaux de Barbès, pour les commerçants qui ont pignon sur rue.
Équilibre impossible, mais la recherche de cet équilibre est ce qui fait la vie
du quartier.
Si
l’on veut intervenir socialement, scientifiquement, politiquement dans la vie
de ce quartier, il faut s’en sortir.
Voir ailleurs. Montrer comme se protègent les quartiers privilégiés. Dans
les beaux quartiers, les manifs contre les centres sociaux, contre les
logements à loyer modéré, contre les efforts de mixité. Mais l’émotion c’est
toujours sur place et tout de suite. Dans ma section du PS, il y a toujours beaucoup
d’émotion pour la misère de rue, les SDF, les sans-papiers. Puis d’un seul
coup, l’émotion disparaît quand on propose d’interdire le cumul des mandats,
cette plaie qui bloque l’accès aux responsabilités de milliers de militants
socialement et culturellement nouveaux.
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