Il n’y a pas
de flics. Cette guerre civile est justifiée jour après jour par les mots qui
commandent et les comportements qui obéissent. On ne dit pas : il est
dangereux de rouler vite, on dit : Tu peux y aller, il n’y a pas de flics.
On ne dit pas, il est dangereux de rouler avec de l’alcool dans le sang. On
dit : on peut y aller, il n’y a pas de flics. Quand la qualité de l’air
requiert un ralentissement général, on ne dit pas : il est dangereux pour
la santé de tous et particulièrement de mon grand-père et de mon petit-fils et
de ma tante asthmatique de rouler vite, on dit : on peut y aller, il n’y a
pas de flics. Quand il n’y a pas de flics, on peut asphyxier bébé, étouffer
grand-père, euthanasier la tante. Puisqu’il n’y a pas de flics.
Parfois, les
radars remplacent les flics et les mots changent. On peut y aller, il n’y a pas
de radars. Parfois, des conducteurs autour de moi grognent parce qu’ils ont
perdu des points de leur permis. Je leur demande pourquoi. Ils disent en
général parce qu’ils ont dépassé la vitesse prescrite. Je leur demande :
et maintenant vous respectez les limitations de vitesse ? Ben, oui,
disent-ils, parce que si je perds encore des points, je risque de perdre mon
permis de conduire ou d’être obligé de perdre une journée dans un stage de
remise à niveau où on me montrera des photos d’accidentés, horribles, en
couleur, avec du sang très rouge et des blessures ouvertes, je vous jure que ça
coupe l’appétit et si je manifeste de l’intérêt pour ce diaporama routier, on
me rendra des points. Tout ça pour dix kilomètres en plus par heure, soit un
kilomètre en trop pour cinq minutes, que dalle. Il n’y avait personne sur la route,
il était trois heures du matin, sur une route de campagne. Mais savez-vous, lui
dis-je, que la majorité des accidents mortels se produisent à trois heures du
matin sur les routes de campagne ? Il me regarde avec haine. Mais puisque
je vous dis qu’il n’y avait pas de flics, pas de radar, juste un groupe de
jeunes éméchés qui rentraient chez eux à pied, en chantant, je ne les ai vus qu’au
dernier moment et maintenant, ça fait des belles photos pour les stages de
remise à niveau et il n’y avait ni flics ni radar, ils n’ont qu’à installer des
flics et des radars, ces jeunes-là seraient encore vivants.
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