L’automobile rend autiste, le
vélo ouvre au monde. La voiture se ferme à clé, se barricade, se chauffe et se
climatise, se sonorise et s’imperméabilise. De l’intérieur de l’habitacle, le
monde extérieur n’existe plus. Le vélo est ouvert, il n’entoure rien et dans le
couple cycliste/vélo, c’est plutôt le cycliste qui protège le vélo que le
contraire. Il protège la selle avec ses fesses, d’où des plaisanteries sans fin
dont certaines grivoises. Il protège les pédaliers avec les pieds, couvre le
cadre d’une large capote large quand il pleut, réchauffe les poignées du
guidon. Mon doudou, mon cœur, mon
mignon. Le cycliste a fortement conscience de son rôle social, de son
implication dans la protection de l’atmosphère, il regarde les bébés et les
vieillards avec affection car chaque coup de pédale leur nettoie les poumons,
leur ramone les voies respiratoires et on aime toujours ceux à qui on rend
service. Le cycliste voit les piétons, repère les deux roues à essence, scrute
les autos, il frôle les piétons, les regarde, leur sourit, demande pardon,
excusez-moi, je suis désolé, merci, attention, ceci est une piste. Les piétons
s’écartent avec amabilité, on n’en veut pas à un cycliste, si tendre, si
fragile, si vulnérable. Quand une voiture renverse un cycliste, la sympathie
publique n’hésite pas, elle se porte vers le cycliste, elle regarde le
conducteur automobile d’un œil de jugement dernier. Un piéton provoque moins de
sympathie sauf s’il est un enfant. Le cycliste se glisse dans la foule en
roulant doucement ou s’il y a trop de monde, il met les pieds à terre et la
main dans le guidon, avance comme un couple vers l’autel, en se regardant les
yeux dans les pneus. Jamais un automobiliste ne descendra de sa voiture pour la
pousser doucement vers un garage. L’automobiliste considère qu’il est partout
chez lui, que le défaut majeur d’un véhicule, d’être lourd, d’occuper l’espace
de dix piétons, de polluer, d’écraser, est une qualité, un instrument de
domination. Il monte sur les trottoirs, tranche les pistes, bloque les portes
d’immeubles, pousse les piétons sur les passages cloutés, hurle au premier
obstacle, tout ralentissement est l’équivalent d’un accident vasculaire.
Ah ! J’en aurais à dire sur le sujet. Mais prenons garde. Mon projet est
de faciliter les relations humaines, de favoriser le vivre ensemble, de semer le
care dans les mouvements urbains. Si
je stigmatise ainsi l’un des termes du chaos, il ne fera plus partie de la
solution, comme dans tout compromis qui se respecte, mais restera un problème à
éliminer. Ma religion est faite : un jour, il n’y aura plus sur terre que
des piétons, des cyclistes et des passagers. En attendant, déplaçons-nous en
harmonie et de concert. Merci, passez donc, après vous, au lieu de connard
enculé, tu as eu ton permis par correspondance, tu t’es vu quand tu conduis.
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