Ce n’est pas demain la veille que
cessera la guerre. Peut-on l’humaniser ? Un nouveau Dunant est-il né qui inventera
une Croix Rouge pour les piétons et les
cyclistes meurtris ? Inutile. Cette Croix-Rouge existe déjà, elle
s’appelle SAMU, Pompiers, Urgentistes, 17, 18, tous les numéros qui s’allument
sur les portables bienveillants dès qu’une forme pantelante gît sur le bitume,
que le conducteur sorti de la voiture blême et déjà repentant n’a pas la force
de composer sur son portable personnel tant il est en empathie avec sa proie.
Voilà une différence majeure. L’automobiliste n’est pas Charles Sweeney qui
largue une bombe atomique sur le Japon puis écrit un livre pour justifier son
acte. Jamais un conducteur n’écrivit ni n’écrira tout un livre pour justifier
d’avoir écrasé une mère de famille et sa fillette qui traversait le Boulevard
Beaumarchais avec une paire d’Adidas toute neuve, imaginez l’état du père quand
il apprend la nouvelle. Jamais Tu n’as rien vu a Los Alfaques n’évoquera
sur grand écran des grandes catastrophes routières. Les voitures ont tué beaucoup plus de monde que toutes les bombes
atomiques. Jamais personne n’a entrepris de démontrer que ce massacre était
nécessaire. Jamais vous n’entendrez dans un bar un titulaire de permis de tuer
se vanter d’un tableau de chasse. Tous sont désolés. Tous disent
« oups ! » « Excusez-moi », « je ne vous ai pas
vu ». C’est un bon point de départ. Nous n’avons pas à faire à des
criminels endurcis et récidivistes, juste bons à enfermer dans des quartiers de
haute sécurité, mais plutôt à des chauffeurs maladroits qui hurlent :
« enlevez-moi mon permis, je ne veux plus jamais conduire », sauf s’ils sont voyageurs de commerce ou
chauffeurs de poids lourd.
Commençons
par humaniser les insultes. Les mots ont
un sens. Les mots peuvent créer un environnement favorable à la violence
routière ou faire sourdre une unanime réprobation. Moi personnellement,
cycliste endurci, je ne traite pas les conducteurs de chauffards. Je les traite
de cyclophages, de vélophobes, de Mengele du volant, de Beria des pistes. Le
plus efficace encore est de les ignorer superbement. Voici quelques pistes.
Quelques conseils de survie.
Affirmez-vous.
Vous êtes un. Un individu qui a les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous
les autres individus, qu’ils soient propriétaires d’une trottinette ou d’une
Porsche. Ne rasez pas les murs ou les bords des trottoirs. Ne cédez aucun pouce
de terrain. Un cycliste est un citoyen, un homme. Les esclaves se révoltent
lorsqu’ils prennent conscience d’être des êtres humains comme leur maître. Un vélo
égale une voiture. Quand vous roulez en ville, vous tenez le milieu de la
chaussée comme n’importe quelles quatre roues. Si vous vous rapprochez du
trottoir, premièrement, vous risquez de prendre une portière en pleine gueule,
car la portière est l’un des armes favorites des cyclophages. On voit un vélo
dans le rétro, on ouvre la portière et vlan, un de moins. Dix de chute. Brelan
d’as. Non, j’ai oublié. Les conducteurs de voitures ne font pas exprès. Jamais
exprès. Excusez-moi. Je ne vous avais pas vu. Alors que Charles Sweeney avait
bien vu Hiroshima, c’est même parce qu’il avait vu la ville qu’il a lâché la
bombe, il n’était pas encore général, mais il est devenu général et il a écrit
un livre pour expliquer qu’il avait eu raison de lâcher la bombe. Qu’auriez-vous
fait à sa place ? Ne jamais céder. Derrière, un vélophobe klaxonne. Il
vous donner l’ordre de renoncer à votre espace réglementaire. Il s’avance tout
près, il fait semblant de vous doubler. Tenez bon. Le secret : des nerfs
d’acier. Une volonté de fer. Un cerveau comme un patin de frein tout neuf. Un
cœur comme une batterie à quatre barres. Vous vous maintenez au milieu de la
route. Si vous n’y arrivez pas, vous pouvez ralentir, ralentir encore, vous
arrêtez, coucher votre vélo sur la chaussée, vous diriger vers le véhicule
persécuteur en vous balançant comme un motard de la police montée et vous
demandez que se passe-t-il, vous voulez me parler, qu’avez-vous à me
dire ?
Comme
piéton, vous avez d’autres armes. L’avantage d’un cycliste, aussi souffreteux
et fragile qu’il paraisse est que le cadre, le guidon, les pédales, peuvent
rayer la carrosserie et le titulaire du permis de chasse urbain ne craint rien
plus que les rayures. Une rayure de carrosserie est grave pour le conducteur
parce qu’il sait qu’une seule diminue la valeur marchande de son véhicule et
que la différence entre un automobiliste et un cycliste c’est qu’à peine
celui-ci a-t-il acheté son char qu’il envisage de le revendre et il imagine
déjà l’acheteur potentiel faire le tour de la carrosserie d’un œil soupçonneux
et pointer son doigt là, une rayure, une encoche, un gnon, des milliers d’euros
en moins pour acheter le véhicule suivant. Le Dieu Argus a encore frappé. Le
cycliste a donc un avantage sur le piéton, il dispose d’une monture métallique
certes fragile, mais rayante.
J’ai
déjà raconté tout ça en vrac dans des conversations aléatoires et chaque fois, provoqué
des protestations. Je réponds toujours pareil : vous ne me croyez pas,
venez avec moi traverser les rues, les avenues, les boulevards. Observez. Un
piéton sur passage clouté est une cible légitime que les voitures se disputent
avec autant d’ardeur que les cavaliers d’une chasse à courre. Taïaut !
Taïaut ! hurlent les haut-parleurs. Un parent derrière une poussette obtiendra
l’arrêt de la meute pourquoi ? Parce que les extrémités aigües de la
poussette (qui d’ailleurs souvent porte des noms de voiture pour bien montrer
qu’elle joue dans la cour des formule 1, poussette MacLaren, Poussette Fangio)
peuvent rayer la carrosserie voir plus haut. Peut-être la présence d’un
enfant…Pas du tout. Un parent qui essaie de traverser avec un enfant dans les
bras, sans poussette, tout dégarni, fait de chair tendre et de vêtement
rarement amidonné, ne présente aucun menace pour le Dieu Argus et par
conséquent est une cible légitime. Glissez une canne dans la main d’un piéton,
qu’il traverse en tendant la canne devant lui et les voitures s’arrêtent parce
qu’elles craignent les bouts ferrés.
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