mercredi 29 août 2012

guerre urbaine


    Ce n’est pas demain la veille que cessera la guerre. Peut-on l’humaniser ? Un nouveau Dunant est-il né qui inventera  une Croix Rouge pour les piétons et les cyclistes meurtris ? Inutile. Cette Croix-Rouge existe déjà, elle s’appelle SAMU, Pompiers, Urgentistes, 17, 18, tous les numéros qui s’allument sur les portables bienveillants dès qu’une forme pantelante gît sur le bitume, que le conducteur sorti de la voiture blême et déjà repentant n’a pas la force de composer sur son portable personnel tant il est en empathie avec sa proie. Voilà une différence majeure. L’automobiliste n’est pas Charles Sweeney qui largue une bombe atomique sur le Japon puis écrit un livre pour justifier son acte. Jamais un conducteur n’écrivit ni n’écrira tout un livre pour justifier d’avoir écrasé une mère de famille et sa fillette qui traversait le Boulevard Beaumarchais avec une paire d’Adidas toute neuve, imaginez l’état du père quand il apprend la nouvelle.  Jamais Tu n’as rien vu a Los Alfaques n’évoquera sur grand écran des grandes catastrophes routières. Les voitures ont tué beaucoup plus de monde que toutes les bombes atomiques. Jamais personne n’a entrepris de démontrer que ce massacre était nécessaire. Jamais vous n’entendrez dans un bar un titulaire de permis de tuer se vanter d’un tableau de chasse. Tous sont désolés. Tous disent « oups ! » « Excusez-moi », « je ne vous ai pas vu ». C’est un bon point de départ. Nous n’avons pas à faire à des criminels endurcis et récidivistes, juste bons à enfermer dans des quartiers de haute sécurité, mais plutôt à des chauffeurs maladroits qui hurlent : « enlevez-moi mon permis, je ne veux plus jamais conduire »,  sauf s’ils sont voyageurs de commerce ou chauffeurs de poids lourd.

            Commençons par  humaniser les insultes. Les mots ont un sens. Les mots peuvent créer un environnement favorable à la violence routière ou faire sourdre une unanime réprobation. Moi personnellement, cycliste endurci, je ne traite pas les conducteurs de chauffards. Je les traite de cyclophages, de vélophobes, de Mengele du volant, de Beria des pistes. Le plus efficace encore est de les ignorer superbement. Voici quelques pistes. Quelques conseils de survie. 

            Affirmez-vous. Vous êtes un. Un individu qui a les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les autres individus, qu’ils soient propriétaires d’une trottinette ou d’une Porsche. Ne rasez pas les murs ou les bords des trottoirs. Ne cédez aucun pouce de terrain. Un cycliste est un citoyen, un homme. Les esclaves se révoltent lorsqu’ils prennent conscience d’être des êtres humains comme leur maître. Un vélo égale une voiture. Quand vous roulez en ville, vous tenez le milieu de la chaussée comme n’importe quelles quatre roues. Si vous vous rapprochez du trottoir, premièrement, vous risquez de prendre une portière en pleine gueule, car la portière est l’un des armes favorites des cyclophages. On voit un vélo dans le rétro, on ouvre la portière et vlan, un de moins. Dix de chute. Brelan d’as. Non, j’ai oublié. Les conducteurs de voitures ne font pas exprès. Jamais exprès. Excusez-moi. Je ne vous avais pas vu. Alors que Charles Sweeney avait bien vu Hiroshima, c’est même parce qu’il avait vu la ville qu’il a lâché la bombe, il n’était pas encore général, mais il est devenu général et il a écrit un livre pour expliquer qu’il avait eu raison de lâcher la bombe. Qu’auriez-vous fait à sa place ? Ne jamais céder. Derrière, un vélophobe klaxonne. Il vous donner l’ordre de renoncer à votre espace réglementaire. Il s’avance tout près, il fait semblant de vous doubler. Tenez bon. Le secret : des nerfs d’acier. Une volonté de fer. Un cerveau comme un patin de frein tout neuf. Un cœur comme une batterie à quatre barres. Vous vous maintenez au milieu de la route. Si vous n’y arrivez pas, vous pouvez ralentir, ralentir encore, vous arrêtez, coucher votre vélo sur la chaussée, vous diriger vers le véhicule persécuteur en vous balançant comme un motard de la police montée et vous demandez que se passe-t-il, vous voulez me parler, qu’avez-vous à me dire ?

            Comme piéton, vous avez d’autres armes. L’avantage d’un cycliste, aussi souffreteux et fragile qu’il paraisse est que le cadre, le guidon, les pédales, peuvent rayer la carrosserie et le titulaire du permis de chasse urbain ne craint rien plus que les rayures. Une rayure de carrosserie est grave pour le conducteur parce qu’il sait qu’une seule diminue la valeur marchande de son véhicule et que la différence entre un automobiliste et un cycliste c’est qu’à peine celui-ci a-t-il acheté son char qu’il envisage de le revendre et il imagine déjà l’acheteur potentiel faire le tour de la carrosserie d’un œil soupçonneux et pointer son doigt là, une rayure, une encoche, un gnon, des milliers d’euros en moins pour acheter le véhicule suivant. Le Dieu Argus a encore frappé. Le cycliste a donc un avantage sur le piéton, il dispose d’une monture métallique certes fragile, mais rayante.

            J’ai déjà raconté tout ça en vrac dans des conversations aléatoires et chaque fois, provoqué des protestations. Je réponds toujours pareil : vous ne me croyez pas, venez avec moi traverser les rues, les avenues, les boulevards. Observez. Un piéton sur passage clouté est une cible légitime que les voitures se disputent avec autant d’ardeur que les cavaliers d’une chasse à courre. Taïaut ! Taïaut ! hurlent les haut-parleurs. Un parent derrière une poussette obtiendra l’arrêt de la meute pourquoi ? Parce que les extrémités aigües de la poussette (qui d’ailleurs souvent porte des noms de voiture pour bien montrer qu’elle joue dans la cour des formule 1, poussette MacLaren, Poussette Fangio) peuvent rayer la carrosserie voir plus haut. Peut-être la présence d’un enfant…Pas du tout. Un parent qui essaie de traverser avec un enfant dans les bras, sans poussette, tout dégarni, fait de chair tendre et de vêtement rarement amidonné, ne présente aucun menace pour le Dieu Argus et par conséquent est une cible légitime. Glissez une canne dans la main d’un piéton, qu’il traverse en tendant la canne devant lui et les voitures s’arrêtent parce qu’elles craignent les bouts ferrés. 

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