Zone
de sécurité : les priorités
Le comité de pilotage de la Zone de sécurité prioritaire
s’est réuni le jeudi 16 mars 2013 au commissariat du 18ème arrondissement,
rue de Clignancourt en présence d’un panel d’habitants dont deux représentants
associatifs (Action Barbès et Chateaubouge). Les militants associatifs de la Goutte d'Or
« historiques », n’étaient pas présents.La majorité des habitants
présents étaient ceux qui subissaient de plein fouet des nuisances dans leur
immeuble ou dans leur rue. Des hommes et des femmes qui ont mille raisons
d’être en colère contre les agressions, la prostitution, le bruit, les
rassemblements de buveurs pisseurs…Mais il n’y avait qu’eux. Il était légitime
de les inviter à cette réunion. Les autres n’étaient pas là. Les autres qui
habitent aussi le quartier et partagent une partie de leurs colères, mais pas
toutes, et qui ont une autre expérience et une autre vision du quartier. Avec
ces habitants, tous les fonctionnaires qui mettent en place l’aspect policier
et judiciaire de la Zone
de sécurité prioritaire : police de quartier, brigade des stups, brigade
de lutte contre le proxénétisme, les douanes, les agents de sécurité des
transports, la veille sanitaire, les gendarmes, les CRS, le procureur de la République. La
mairie était représentée par deux élus : Myriam El Khomry et Dominique
Lamy et quelques membres du cabinet.
Myriam El Khomry, copilote de la Zone de sécurité prioritaire,
ouvre la réunion en insistant sur le volet prévention du classement. Grâce à ce
classement, une enveloppe de 70 000 euros est attribuée pour des actions
précises de prévention : lutte contre le décrochage scolaire, actions avec
les familles des jeunes en difficulté, réinsertions par l’emploi, prise en
charge des usagers de drogue en liaison avec la coordination toxicomanie de
l’arrondissement et d’EGO, actions pour éviter les incarcérations et
privilégier les travaux d’intérêt général (TIG). On l’écoute poliment. Aucun
représentant des institutions mentionnées dans ce volet n’est présent. Aucune
réunion avec les habitants n’est annoncée sur ce sujet. Aucun élu ne prendra
plus la parole. La place est nette pour le volet « sécurité prioritaire » dont le commissaire
rappelle les objectifs : lutte contre le proxénétisme, contre le trafic de
drogues, contrôle administratif des commerces, contrôle sanitaire, sécurisation
de l’espace public.
Chacun des responsables rend compte
ensuite des actions entreprises. Fermetures d’établissements insalubres,
contrôles sanitaires multipliées, détection de travail au noir, récupération
d’appartements utilisés par les proxénètes. Grâce au classement en Zone de
sécurité prioritaire, les procédures sont accélérées. Les actions contre les
trafics en tous genres sont menées par GIR, (groupes d’intervention régionale),
qui regroupent police, douanes, Urssaf et impôts. Des actions sont menées avec
succès : saisie d’or volé, arrestation de recéleurs, contrôle qui ont
permis des expulsions, de mises en rétention, des arrestations de fabricants de
faux papiers, fausses ordonnances, fausses cartes d’identité. Passages plus
fréquent de patrouilles de police dans les endroits où sont signalées des
agressions, des vols de téléphone.
La lutte contre le proxénétisme est urgente
parce qu’elle provoque de graves nuisances dans les immeubles. Elle est
compliquée : les réseaux sont ethniques et les prostituées invisibles.
Elles ne racolent pas, elles attendent, habillées comme tout le monde. Quand
elles sont arrêtées, on leur interdit de revenir dans la Goutte d'Or et si elles
reviennent, elles peuvent alors être arrêtées. Le trafic de stupéfiants est
important dans le quartier. Il est le fait des jeunes du quartier, mais il y a
aussi beaucoup de revendeurs de médicaments (subutex…). Certains médecins et
pharmaciens ne sont pas assez vigilants dans ce domaine. Le travail de la
police déplace les trafics. La vente de subutex se déplace vers le 10ème.
Les opérations de police aux stations Barbès et Château-Rouge ont déplacé les
usagers de drogue vers Marcadet Poissonniers. De même, la prostitution a diminué
constamment, mais les prostituées se sont dispersées dans les petites rues, ou
déplacées vers d’autres lieux de la capitale.
La brigade des stups n’oublie pas la
prévention : lorsqu’un toxicomane est arrêté, s’il s’engage à se soigner,
il ne sera pas incarcéré. S’il refuse de se soigner, il ira en prison.
Les actions sur la voie publique sont
les plus visibles. Mais très difficile. Ce commerce est le fait de plusieurs
centaines de personnes, autour du marché Dejean, de Barbès, rue des
Poissonniers. La police ne peut pas les arrêter. Amener une Africaine devant un
magistrat avec son caddy de safou n’a aucun sens. Ce qui est le plus efficace
est la saisie des marchandises et leur destruction immédiate. Des bennes et des
camions sont réservées pour ce travail. Il
reste que la Goutte
d'Or est le plus gros marché aux voleurs de toute l’île de France et les
téléphones volés partout dans la capitale se retrouvent dans l’heure qui suit
Boulevard Barbès. Un policier dit « on vide l’océan ».
Les habitants se plaignent. Des cafés
sont fermés, ils rouvrent sous un autre nom. OU le propriétaire loue à un autre
gérant qui poursuit le même commerce. Les épiceries vendent des boissons à des
consommateurs qui boivent sur les trottoirs. L’installation de deux urinoirs
mobiles, pourtant à la demande des riverains, n’est pas satisfaisante. Les
buveurs pissent autour, ça pue autant que la pisse sur les trottoirs. Question
récurrente : les camions de CRS stationnent et à côté, ventes à la
sauvette…Le commissaire rappelle que les CRS ne sont là que comme unité de soutien aux autres unités de police
qui patrouillent dans le quartier. C’est leur seul rôle. Un habitant proteste
contre les contrôles répétés. IL ne dit pas au faciès, mais tout le monde
l’entend. Le commissaire répond que ces contrôles sont ciblés sur des individus
connus et qu’ils sont nécessaires. Il faut d’abord demander les papiers pour
ensuite rechercher les produits interdits ou volés.
Bilan :
une augmentation des arrestations pour deal, diminution des agressions, notamment
autour du square Léon. Pour la vente à la sauvette, ça va et ça vient.
Quand je pose des questions plus
générales, les policiers me répondent que ce sont des questions pour les
réunions de quartier, pas pour la
Zone de sécurité prioritaire. Et les habitants me regardent
de travers, parce qu’ils ne sont pas là pour ça. Ils sont là parce qu’il y a
une épicerie en bas de chez eux et que ça fait du bruit.
Entendez-moi, s’il vous plaît. Des
habitants du quartier vivent dans des conditions très pénibles et ces
situations méritent écoute. C'est à dire avant tout des solutions, et pas des
explications sociologiques ou des réponses d’impuissance. Le travail de la
police est souvent nécessaire, parfois urgent.
Je dis seulement que je suis atterré, parce
que je craignais le pire et que le pire est arrivé. Le classement en Zone de
sécurité prioritaire a marqué la
Goutte d'Or comme on marque le bétail, au fer rouge. Sur la
peau des habitants, on a brûlé les lettres Z S P. Nous ne sommes plus que ça. La
sécurité, c’est comme la culture, ce qui reste quand on tout oublié. Les gens
ne comptent plus. Les habitants ne sont plus que des victimes pantelantes qui
demandent qu’on les rassure, toujours plus, et ce ne sera jamais assez, car le
quartier ne sera jamais, de leur vivant, comme ils le souhaiteraient. Les
policiers ne décrivent le quartier que comme celui où il y a le plus grand
nombre de garde à vue et d’arrestations de tous les arrondissements de Paris,
avec fierté, car ils font bien le travail qui leur est demandé. Les vendeurs à
la sauvette, les vendeurs de cigarettes, les mama qui vendent du soufa, ne sont
pas des individus, mais du bétail qu’on repousse et qui revient au gré du vent.
Il ne reste plus que la peur, l’angoisse, l’énervement, l’agacement contre qui
veut parler politique ou sociologie. On lui lance un regard noir : ça pue
en bas de chez moi, je ne peux pas dormir, si ça ne pue pas en bas de chez toi,
si tu dors tranquillement, tu n’as pas le droit à la parole. Sur les usagers de
drogue, qu’on appelle toxicomanes, j’avais oublié, on revient à des malades
qu’il faut soigner de force sous peine de prison, cinquante ans de régression.
Et sur les bousculades à Château-Rouge, le représentant de la police des
transports ne sait même pas qu’il était prévu des travaux pour une seconde
sortie. Son seul problème, c’est de chasser les toxicos vers d’autres stations
de métro.
Je ne suis pas en colère contre les
participants à cette réunion. Si l’on met dans une même salle des habitants qui vivent des situations
insupportables et des policiers à qui on réclame une solution, que peut-on
attendre ?
Tout le travail politique sur le
quartier, les constructions, la bibliothèque, le centre de musique, les
associations qui jour après jour mènent un travail d’insertion,
d’accompagnement de soins, les associations d’accueil des usagers de drogue, le
travail de réduction des risques, tout cela est effacé. Tout ce qui tient le
quartier debout. En sortant de la réunion, j’avais envie de crier « vive
le Louxor ! Vive le centre Barbara ! Vive l’Institut des cultures de
l’Islam ! Vive EGO ! vive STEP ! vive la rue des Gardes !
Rouvrez la médiathèque Goutte d'Or !
L’urgence est de redonner au mot
« sécurité » son sens plein et non pas une définition atrophiée. Vous
voulez des exemples ? En voilà. Il n’y a pas si longtemps, des seringues
jonchaient les rues du quartier. La distribution de seringues propres et un
programme d’échange les a fait disparaître. Les prières dans la rue
Polonceau. On pouvait imaginer leur interdiction
et patrouilles de police pour les chasser. Après tout, elles étaient des
prières à la sauvette. La municipalité a trouvé un lieu de prière pour tous les
vendredis. Les usagers de drogue dans la rue : pourquoi pas une salle de
consommation à risque réduit ? Les ventes à la sauvette : pourquoi
pas un lieu où elles seraient regroupées, permises et contrôlées ?
Folies ? Cherchons ensemble des solutions. À plusieurs, on finit par
trouver.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire