lundi 10 septembre 2018

périgord noir


Dordogne septembre 2018






D'abord la préparation. Loin du  voyage, en amont. Il faut choisir le lieu, se demander pourquoi ce choix et pas un autre. La région, le Périgord noir, la Dordogne. Les villes : Montignac, Sarlat. Sarlat parce que dans cette ville séjournèrent les frères dans un collège de Jésuites. Les frères, pas au sens religieux, au sens de la famille. Ils furent envoyés dans ce collège parce que les parents l'avaient fréquenté. Et pendant la guerre, pendant la débâcle de 1940 et pendant les guerres de libération, ils se débrouillaient pour revenir à Biarritz  à l'âge où les petits garçons jouent aux billes. Tel fut le choix de cette escapade. Montignac, parce que la ville est située au centre des sites préhistoriques.



Le choix fut d’abord de partir, loin des agitations, des tensions qu’implique toute vie publique. Se reposer des grimaces et grincements de dents. Sans doute plus que l'existence des grottes de Lascaux. Parce que les grottes de Lascaux on s'en tape les défenses de mammouths. On les a vues mille fois à la télé et au cinéma et en photo, et si l'on va voir les grottes de Lascaux, c'est pour frimer. Or comment peut-on frimer d'être allé voir des reproductions de grottes? C'est comme si on frimait d'avoir regardé un documentaire sur les vraies grottes, qui lui-même a été copié mille fois pour être projeté des millions de fois sur des écrans dont la taille varie entre l'écran géant qui orne notre salon et le timbre-poste que certains hôtels trois étoiles osent appeler télévision.



Comme j’ai atteint l’âge d’avoir le droit d’être casanier parce que tout changement de lieu, de prises électriques, de douche glissante et étroite, est devenu plus compliqué ; il faut une préparation encore plus lointaine pour me persuader de reprendre ma valise qui est rangée dans un sac plastique pour la protéger de la poussière et il faut dresser l'échelle pour la descendre et ensuite la démailloter. Puis de me persuader qu'il serait bon pour notre santé commune de prendre l'air comme si il n'y avait pas d’air à Biarritz, franchement. Non prendre l'air signifie ici s’éloigner quelques jours du climat de tension qui imprègne la ville, sur les questions de Marbella, une plage menacée, sur l'hôtel du Palais, un héritage incongru trop lourd pour les bras du maire, et qui de bail emphytéotique en négociations fiévreuses avec les banques empoisonnent les réunions du conseil municipal. Et d'autre part des tensions au sein d'un groupe de dézingueurs qui ne supportaient plus les soumissions aux nationalistes basques et qui décidèrent de réagir. Ce qu'ils croyaient être au début une plaisanterie, comme une partie de sonnettes de mômes qui sonnent et qui s'enfuient en courant est devenu en fait une affaire très grave qui fait que les dézingueurs se sont pris très au sérieux, comme s'ils s'occupaient d'un bail emphytéotique et qu'ils se sont disputés comme des grands et même qu'ils ne se parlent plus, imitant bêtement leurs collègues au conseil municipal qui s'étripent sur le Palais. 



Donc, m'a persuadé ma compagne qui partage toutes ces discussions tendues, mais en même temps, si elles n'étaient pas là, peut-être qu'elles nous manqueraient, ces discussions et ces tensions, que si on s'éloignait des lieux de l'affrontement (Palais, Mémoire et Vigilance, statuts, plage Marbella) peut-être  que ça nous calmerait. Mais contrairement à la patrie, on peut toujours emporter les emmerdes à  la semelle de nos souliers. 



Il faut pourtant admettre que les emmerdes d'une vie publique dont nous sommes entièrement responsables, on n'avait qu'à pas s'en occuper, quand elles sont confrontées aux habitudes de la vie casanière promenade sur la côte des Basques, lecture du journal avec café et verre d'eau, courses et apéritifs, plus réception de la famille en été, prennent moins de place quand elles disputent l’espace à l'exotisme des grottes du Lascaux et aux caprices du GPS.



La préparation se précise avec le choix d'un hôtel, la réservation des billets de train, la location d'une voiture,  quelle puissance, quelle classe de train. Puis encore plus proche, l'examen de la météo qui commandera le choix des vêtements.



Puis vient l’inévitable : le choix et le nombre de médicaments, les prises électriques pour les recharges de tous les appareils qui se rechargent: téléphone, appareil photo, prothèses auditives,  ordinateurs, GPS, lunettes en 3D... Rien que ces appareils plus les médicaments, ça occupe le tiers de la place de la valise qui est désormais décapsulée, démaillotée et gît ouverte sur le canapé prête à accueillir l’inaccueuillable. 



Ensuite les valises dans la voiture de Zazou, la sœur de Brigitte, qui vient nous chercher pour nous amener à la gare et je m'aperçois à la gare de Biarritz que j'ai oublié ma pochette avec un livre, une liseuse, des gaviscons contre les renvois hiataux,  le guide Michelin de notre expédition. Rien de tragique, mais quand même. Zazou prend la voiture, fonce dans la maison, prend la pochette. Pendant ce temps, je m'avance avec les valises sur le quai, prends l'ascenseur, descend, remonte, le wagon est au bout du quai, voiture onze, et qui vois-je sur le quai, Zazou avec ma pochette pendant que Brigitte court sur l'autre quai pour nous rejoindre. Nous disons merci et à bientôt. A côté, les ennuis d’une voyageuse dont la place à été squattée, ou du propriétaire d’une piscine menacée par l’écroulement de la falaise, ou un bail emphytéotique, comment voulez-vous qu’on les prenne au sérieux ?



Ensuite, la voiture, le GPS. La voix est déplaisante et elle prononce l''avenue Jean Jaurès comme j'en j'aurai.



Accueil militaire à l'hôtel : à quel heure prendrons nous le petit déjeuner ?  Promenade dans Montignac un chouette village moyenâgeux , apéritif, abeille dans le verre de vin, mouche dans le martini, l'alcool monte à la tête, retour à l'hôtel notre table est mise dans le jardin et le foie gras avec un fruit exotique, un truc en forme de poire qui contient des graines, Des figues. Puis un casse-croute avec des ceps. Il est loin le bail emphytéotique et les monuments aux assassins, la hache sculptée qui hurle avec les loups.







Mercredi 5 septembre Lascaux 4. 


 


Il y a vingt mille années environ, des hommes  préhistoriques ont peint sur les roches des cavernes animaux et scènes rupestres qui furent découvertes au lendemain de la Première Guerre mondiale. Puis les cavernes et les peintures furent ouvertes au public et le succès fut tel que les galeries durent être fermées au public car la pollution du nombre abimait les peintures. On en fit une copie, puis une deuxième copie et aujourd'hui, Lascaux 4 connaît un succès international. On vient visiter la copie du monde entier. Toutes les écoles défilent. Et c'est vrai que la copie est saisissante de vérité. C'est comme si on visitait la vraie. Et il est vrai que de se trouver dans un lieu habité par des hommes il y a environ vingt mille ans est une expérience assez unique. 



Aujourd'hui, en 2018, pour visiter Lascaux 4, il faut retenir à l'avance, comme pour les expositions du Grand Palais. Les visites se font en groupe, environ vingt-cinq personnes, qui démarrent sous l'autorité d'un guide, tous les quart d'heure à peu près. La guide vous distribue un casque audio et une tablette. En branchant le casque audio on entend la guide qui était remarquable. Les écouteurs se surajoutent parfois à des prothèses auditives. De même qu’à la fin de la visite, il y a un film en 3D où il faut mettre des lunettes spéciales qui se surajoutent aux lunettes habituelles et pour regarder une page du programme, il faut enlever les lunettes 3D, les lunettes habituelles, pour mettre les lunettes de lecture que vous portez aussi autour du cou fixée par un cordelette, mais les lunettes de lecture ont emmêlé leur fil avec la lanière de la tablette d''écoute de la guide et il faut enlever la lanière de l'écouteur pour pouvoir lire le programme. Il y a aussi la bandoulière du sac qui parfois vient se mêler à la discussion entre les lanières. Je peux ici vous assurer que les cavernes préhistoriques seraient vides de tous dessins si les hommes s'il y a vingt mille ans avaient tous été encombrés de ces instruments nécessaires pour visiter ce qu'ils ont peint.



Certains sont impressionnés par les dessins, par les modes de vie des hommes s'il y a vingt mille ans et je le comprends. Personnellement j'ai été impressionné& par la confrontation, par le mélange, entre modernité et préhistoire. Les bâtiments de Montignac qui abritent Lascaux 4 sont des modèles de pureté architecturale moderne, des enfilades de béton. Les appareils d'accompagnement de la visite transforment les visiteurs en extra-terrestres harnachés de matériel sophistiqué. Je ne me moque pas. Tout est organisé pour que tout le monde depuis des jeunes enfants jusqu'à des visiteurs impotents, puisse jouir du spectacle. 



Mais quand même ça pose le problème de la copie en art. Ou en général. Disons les choses crûment. Est-il plus impressionnant de visiter la copie que l'original ?  Il est évident que personne ne peut retrouver l'immense émotion qui a étreint les premiers visiteurs de la grotte de Lascaux. Personne. Mais en visitant les grottes originales, même en bandes organisées sous l'autorité d'un guide, les visiteurs étaient saisis d'une partie de l’émotion des premiers visiteurs. Les visiteurs de la copie sont-ils saisis de la même émotion ou bien y a-t-il déperdition d'émotion? Est-ce que l’émotion qui vous saisit quand vous découvrez Guernica de Picasso en haut des marches du MOMA est semblable à celle qui vous frappe quand vous regardez une photo de l'original?  Sûrement pas. 



Sinon, on pourrait, si l'émotion était la même, imaginer que pour réduire la cohue devant la Joconde, on réalise une copie à l'identique dans une autre salle du Louvre et on verrait alors si le nombre de visiteurs de la copie resterait le même que pour l'original. Alors même que la plupart des visiteurs seraient incapables de distinguer l’original de la copie. Et en cas de non-information sur qui est quoi, on verrait peut-être des touristes japonais photographier la copie tandis que les Chinois se presseraient devant l’original.



On peut aussi imaginer que l'original de Lascaux est en fait une copie d'une caverne musée d'il y a vingt et un mille ans, mais qui avait un tel succès parmi les hommes  de la préhistoire qu'ils ont refait une autre caverne avec les mêmes dessins pour éviter la cohue et les dégradations des peintures. 



Je recommande cette visite chaudement.



Sarlat est une ville musée. Il y a tellement de monde qu'il va falloir faire une copie de la ville. On a l'impression d'être sur la butte Montmartre. Un ascenseur imaginé par Jean Nouvel nous mène au ciel et aux toits de Sarlat et devant nos yeux, l'original de la ville, l'original du lycée de jésuites et toutes les écoles pour jeunes filles rangées.







Jeudi 6 septembre




La Roque de Saint-Christophe, les villages troglodytes. 



Lever petit déjeuner, nous arrivons à la grotte de Rouffignac à 11h 30 et la dernière visite en petit train électrique est déjà partie, La prochaine est à quatorze heures. Pas gênés, nous repartons vers la Roque de Saint-Christophe, un village, une promenade sur la falaise, un village abrité dans le calcaire, avec vue sur la rivière Vézère. Les chemins sont malaisés, mais le spectacle en vaut la peine. Tout un village à flanc de falaise qui comprenait jusqu’à mille habitants.  À la sortie du village troglodyte, un Restosnac nous tend les bras pour une omelette aux cèpes, on est dans le Périgord ou on n'y est pas, et Brigitte prend une salade avec foie gras de canard.



Il est l’heure de rejoindre la grotte de Rouffignac, avec le petit train électrique. Nous prenons le petit train de 15.30. À la différence de Lascaux 4, ici tout est vrai, authentique. Les feuillets d’explication, les guides, les affiches, insistent. Ici tout est vrai. Pas comme au Larzac. Lascaux 4 est d’après une histoire vraie. La grotte de Rouffignac n'est pas d'après une histoire vraie, mais elle est vraie. Pas comme Lascaux.  Et le guide ne se gêne pas pour le dire et le répéter. Ici tout est vrai, tout est authentique, pas comme Lascaux. Ici, dit le guide, nous avons su protéger le site en limitant le nombre de visiteurs. Trente personnes par train, un train toutes les vingt minutes, jamais plus de cinq cents personnes par jour et la grotte est fermée d'octobre au printemps pour se régénérer. Ici, nous avons pu protéger l’original. La grotte de Rouffignac est propriété privée.





Vendredi 7 septembre.




Saint-Léon de Vézère. Une magnifique église romance. Austère, pas une tapisserie, pas de vitraux, pas de statue. Pas de saints, pas de chemin de croix. Austère au point où le visiteur pourrait la prendre pour une église protestante. Ou pire encore, une église évangélique. Alors, pour briser l’austérité, les prêtres ont installé une espèce de crèche avec la famille divine en couleurs éclatantes, ont décoré l’autel d’une nappe blanche immaculée avec des bougeoirs dorés. Tout plutôt que des murs nus qui rappelleraient Luther ou Calvin. Et pour briser encore plus l’austérité, les prêtres ont épinglé sur les portes d’entrée un avertissement. Ici, vous êtes dans une église catholique. Pas seulement chrétienne. Catholique. La notice vous dit que derrière l'autel, le Christ est physiquement présent. Par sa chair et par son sang. Ce mystère s'appelle la transsubstantiation. Et que la transsubstantiation est le symbole distinctif de l’église catholique. Les églises protestantes dénoncent cette présence physique du Christ comme une hérésie, comme une croyance païenne. Tous ces écrits, toutes ces fanfreluches ne servent à rien. Ils sont incongrus, rajoutés, jurent avec la pierre nue d’une église qui transpire le protestantisme par toutes les clés de voûte, par toutes les murailles sèches. A l’église Saint-Pierre-de-Rome, personne n’a besoin de placarder une annonce « ceci est une église catholique ». Ici, sans cette annonce, le corps du Christ resterait invisible.



Le château de Losse est un château dont le prix d’entrée est neuf euros. Le prix d’une séance de cinéma. Après avoir payé, les visiteurs peuvent déambuler dans les jardins entretenus, jardins à la française. Un chemin longe les douves sèches. La tempête a abîmé des buissons et des arbres. De l’autre côté de la Vézère, la rive est nue. Une affiche dénonce l’abattage des arbres par la mairie, le château de Losse n’y est pour rien. Même si la propriété ne comprenait pas la rive du fleuve, le rideau d’arbres faisait partie du paysage et là comme ailleurs, abattre des arbres n’est jamais populaire.



Une cloche rassemble les visiteurs à l’entrée du château. Une guide a appris par cœur les informations sur la famille Losse, sur sa puissance, sur ses richesses. La famille Losse est devenue riche et puissante en faisant la guerre pour le roi, et grâce à cette guerre, le roi lui a accordé le gouvernement de la province et la famille s’est encore enrichie.



Si c’est le moment de parler de régression, c’est bien dans la bernisation des commentaires. Les familles nobles, royales, aristocratiques, sont riches et puissantes. Les richesses tombent du ciel. Elles vivent sans domestiques, sans paysans qui paient l’impôt, sans artisans qui construisent et décorent. Peut-être ici ou là un tisserand est mentionné dans la trame de la tapisserie. Pourtant, le Périgord noir est connu pour ses révoltes paysannes. Elles font partie de l’histoire, du folklore même, avec le personnage de Jacquou le Croquant. Pas un mot. Le seigneur a fait la guerre et il est devenu riche grâce à ses victoires.



Le retour au bercail se fait par Bordeaux, dans le refus absolu de tout GPS qui nous a tant fait tourner en rond. Le garage est protégé par des travaux et les barrières de chantier le rendent inaccessible. C’est le seul moment de ce voyage parfait où la température a grimpé.



Dans le restaurant assez chic, on nous sert des amuse-gueules qu’on appelle ici mise en bouche.



Il manque à ce récit l’essentiel. Les moments devant un verre de vin rouge de Bergerac ou du Montbazillac qui accompagne le foie gras du Périgord, ces moments où la raison s’endort.








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