jeudi 7 mars 2019

je suis de souche


Ce matin jeudi 7 mars 2019 j’entends l’interview de Jérôme Fourquet sur France Inter. Il vient de publier un livre au Seuil L’archipel français, sur une France comme archipel, une France morcelée. Il donne en exemple les prénoms qui se diversifient alors qu’avant les parents donnaient des prénoms « français ». Ou la religion, qui tenait la société. Ou la gauche et la droite dont les articles étaient bien rangées dans tous les rayons. Tout fout le camp, et il devient difficile de faire société. La religion, les grands récits politiques s’écroulent. Un pays partagé entre ceux qui profitent de la mondialisation et ceux qui sont laissés sur le carreau. Entre le centre qui est nulle part et les périphéries partout.

Ces idées sont reprises en boucle. Elles sont l’avantage de tout expliquer simplement. Répétées, elles deviennent vérité. Les gilets jaunes c’est la périphérie abandonnée, Macron, c’est le mondialisme. Un jour viendra le grand clash. Entre Kevin et Aziz d’un côté et Emmanuel et Edouard de l ‘autre.

Oui, je sais, je devrais d’abord lire le livre, puis réagir. J’avoue. Je ne lirai pas le livre, comme je n’ai pas lu Eric Zemmour, ni Alain Finkielkraut, tous ces livres qui montrent l’écroulement d’une France unie, somptueuse, chrétienne, communiste, cette France qui se déglingue devant nos yeux. Je lirai François Dubet ou Jacques Levy. Des auteurs qui pensent que l’unité nationale n’est pas menacée par l’immigration, par l’écroulement des valeurs anciennes,  par la mondialisation.

Au contraire des catastrophismes à la mode, j’ai l’impression d’assister à une grande délivrance. Dans tous les domaines. Culturelle, politique. Cette grande libération est source d’angoisse, de nostalgie, de colères, de frustration. Les inquiets de partout vont chercher ailleurs des raisons de tranquillité. Voyez comme la Russie est  tranquille et unie avec Poutine. Voyez comme la Pologne assassine tranquillement le maire de Gdansk sans remous majeur. Et Orban, en voilà un qui dirige un pays qui n’est pas un archipel, mais un bloc de béton armé. Et Erdogan. Et Trump.

En contre-exemple, l’Irlande qui était un havre de paix et de communion se disloque. Voici un territoire béni des Dieux où tout le monde était catholique, tout le monde s’appelait Sean ou Deirdre, se retrouvait tous les dimanches à la messe, votait nationaliste de gauche ou nationaliste de droite, où les couples restaient unis pour le meilleur et pour le pire, où une bonne sœur violée par un prêtre n’avait pas le droit d’avorter. Avec la mondialisation, la République d’Irlande a maintenant un Premier ministre, Leo Varadkar, né d’un père indien, dont le prénom n’est pas gaélique, jeune, homosexuel. Les familles se défont grâce à la loi qui permet le divorce. L’Irlande vertueuse est devenue Sodome depuis que les contraceptifs sont légaux, et l’IVG possible. C’est ça que vous voulez ? demandent Eric Zemmour, Laurent Wauquier et Dupont d’Aignan ?

Oui, c’est ça que je veux. Parce je suis né de parents juifs émigrés venus de Pologne. Autour de moi, on parlait  de racines, de cimetières où sont enterrés grands-parents, et d’une place réservée dans le caveau familial, plus importante encore que la chambre de l’EHPAD.

 Dès le départ, je n’ai pas eu de racines, de famille immigrée sans papier je n’ai pas pu planter ces précieuses racines, qui s’alimentant de relations avec les bureaux d’état-civil, des jeux dans la cour de maternelle, de discussions au coin du feu, de personnes rencontrées qui pincent la joue et disent « j’ai bien connu ton grand-père ».

Ce qui est partout dénoncé comme une déliquescence est une évolution qui me tranquillise. Qui étudie les mouvements de population pendant ma durée de vie se rendra compte que l’énorme pourcentage des habitants a migré, de la campagne à la ville, d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre. Regardez autour de vous. En vous rappelant que ce n’est pas une preuve. Juste une impression. Dans votre ville, ceux qui sont natifs sont la minorité. Nos enfants sont partis travailler dans la grande ville. Nos petits-enfants vont étudier en Irlande, en Australie, aux Etats-Unis, en Norvège. Beaucoup vont faire souche ailleurs. Et les Français de souche plus que les autres. En fait ceux qui veulent vraiment faire souche en France sont les migrants. Par millions, les Français, comme les Britanniques, comme les Allemands, vont s’installer en pays étranger. On n’a jamais autant exalté la campagne que pendant la révolution industrielle quand la campagne se vidait. On n’a jamais autant parlé de souche que pendant l’époque contemporaine où les souches se dissolvent. D’être descendant de migrant me rend désormais majoritaire.

La France n’est pas divisée, n’est pas morcelée. Elle se diversifie, elle intègre, elle assimile. Grâce à cette évolution, plus de souche que moi tu meurs.

 

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