mardi 26 mars 2019

négociation par l'émeute


            Au Mans, les forains mécontents du déplacement de leur fête, ont manifesté, saccagé le mobilier urbain et envahi la mairie. Le maire, Stéphane Le Foll dénonce cette violence. Le responsable de ces forains déclare que la violence est la seule manière « de se faire entendre ». S’il n’y a pas violence, les pouvoirs publics n’écoutent pas, n’entendent pas. Il donne en exemple les gilets jaunes. Des élus par les citoyens du Mans ont décidé qu’il était raisonnable d’installer la fête foraine à la périphérie plutôt qu’au centre et ils vont casser et incendier jusqu’à ce qu’on les écoute.



            Il ne faut pas trop le dire, dans aucune réunion, parce que dire ces choses, c’est attaquer les gilets jaunes qui sont intouchables. Mais quand même, en chuchotant, entre amis, autour d’une table de café, est-ce qu’on peut dire que si les gilets jaunes n’avaient pas cassé, ils n’auraient jamais obtenu ce chèque de dix milliards ?



            D’autres oreilles ont entendu le message. Les forains de la ville du Mans par exemple.



            Quand la violence va jusqu’à la lutte armée, les mêmes arguments s’avancent. Des nationalistes modérés en Irlande du Nord ou au Pays Basque, en Corse ou en Bretagne, n’ont pas approuvé le terrorisme nationaliste. Mais nombre d’entre eux sont convaincus, malgré tout, que leurs revendications n’auraient pas avancé sans le recours à la lutte armée. Voyez, disent-ils, en citant l’Ecosse, le Québec et la Catalogne. Dans ces trois régions, le mouvement indépendantiste a épuisé tout l’éventail des actions pacifiques et leurs revendications patinent. Quant aux éléments les plus radicaux, ils rêvent toujours Grand soir, où des groupes d’hommes déterminés, au Vietnam, à Cuba, en Algérie, en Chine et en Russie ont pu changer le cours du monde.



            Au Pays Basque, nous avons l’habitude de ces manifestations violentes à basse intensité. Une agence immobilière incendiée, ou une résidence secondaire, des manifestations jamais déclarées et la dénonciation de l’état policier dès qu’un militant est pris la main avec un cocktail Molotov.



           

Dans l’Irlande rurale du 19ème siècle, quand le loyer des fermes devenait insupportable, des groupes d’hommes au visage noircis incendiaient les meules, mutilaient le bétail, dans les cas extrêmes assassinaient l’intendant. Quand le niveau des exactions montait trop haut, les loyers baissaient. C’est ce que l’historien Eric Hobsbawm  nommait « négociations collectives par l’émeute ».



            Il se passa du temps avant que s’installent des structures de négociations et de compromis. Syndicats, coopératives, associations culturelles, partis travaillistes. Sous nos yeux inquiets, il semble que l’histoire remonte le temps, que revient l’époque de la négociation collective par l’émeute. Des syndicats puissants obtenaient le droit de vote, la limitation du temps de travail, les congés payés, la sécurité sociale. Ils furent capables de créer un terrain commun, un intérêt partagé.



            Il nous faudra reconstruire ces structures de négociations. Il faudra nous souvenir que les gens de pouvoir préfèrent les briseurs de machines et les colères sans issue que des salariés intelligents, éduqués, capables de parler d’égal à égal avec leurs patrons.

           

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire