mardi 12 mars 2019

lever la main


Pourquoi est-ce que je m’intéresse  à la chose publique ? Je suis citoyen ambulant, un grand débat à moi tout seul, un meeting à deux pieds, une manifestation sur roulettes, une conscience active, un cri de colère, un hurlement de désespoir, Ma naissance a été protestation contre les règles d’accueil des migrants. Et aussi contre la discrimination à l’égard des handicapés. En effet, je ne l’ai dit à personne, je suis né deux fois. La première fois, de parents juifs émigrés venus de Pologne. La seconde, nouveau-né  avec un pied normal et le second bot. J’ai ainsi bu  les raisons de la colère dans mes premiers biberons. Juif et bot.

Fut-ce la raison de mes engagements ? Autour de moi, on parle de racines, de cimetières où sont enterrés grands-parents, et d’une place réservée, plus importante encore que la chambre de l’EHPAD. Ceux qui vivent ici depuis cinq générations et ceux qui viennent planter leurs racines. Dès le départ, je n’ai pas eu de racines, de famille immigrée sans papier clandestine d’une part, d’autre part, suite à mon handicap de naissance, j’ai passé la meilleure partie de ma petite enfance en fauteuil roulant, puis sur des béquilles. Le seul contact avec la terre qui ne ment pas était l’embout caoutchouté de ces béquilles, pendant des années, mineur sans papier et sans contact avec la terre, je n’ai pas pu planter ces précieuses racines, qui s’alimentant de relations avec les bureaux d’état-civil, des jeux de la cour de maternelle, de discussions au coin du feu, de personnes rencontrées qui pincent la joue et disent « j’ai bien connu ton grand-père ».

Rien de tout ça n’explique mon intérêt forcené pour la chose publique. Je n’avais à ma disposition qu’un seul outil. Ma main droite. Ma main droite que je lève régulièrement dans toutes les réunions auxquelles j’assiste. Je ne sais pas toujours ce que je vais dire, j’ai à ma disposition des fiches régulièrement tenues à jour, que je range dans ma poche ou dans une sacoche et quand j’ai levé la main, je fouille dans mes fiches, je prends une feuille au hasard et quand on prononce mon nom, ma fiche est prête et je me lance. La même main droite me sert préparer mes fiches sur des sujets divers, à la plume d’abord, puis sur clavier, machine à écrire portative, premier ordinateur. Le métier d’enseignant chercheur m’a choisi pour cette raison : dans mon amphi, je n’avais pas besoin de lever la main, j’avais préparé mes fiches, je les tirais de ma poche au hasard et je commençais ainsi mon cours. Dans les dîners de famille quand le nombre de convives dépasse huit, je lève la main pour parler, mais je ne lis pas mes fiches car je ne connais pas toujours d’avance les sujets de conversation. En tout cas, c’est une habitude que j’ai désormais solidement ancrée et je m’irrite quand dans une assemblée, une réunion publique, un cercle de discussion, des gens prennent la  parole sans lever la main alors que pour moi, prendre la main, c’est lever la parole.

Encore faut-il trouver des endroits où prendre la parole. L’enseignement est le lieu privilégié. Le public est captif, l’intérêt postulé. Les dîners de famille sont moins conviviaux. Il rassemble des gens qui parlent très fort de sujets répétitifs. Les cafés politiques, citoyens, philosophiques se sont multipliés et devenus des lieux de parole. J’ai beaucoup pratiqué les partis politiques. Au PCF, dans les cellules, on discutait beaucoup. Non, on parlait beaucoup. On parlait pour plaire aux dirigeants, pour montrer qu’on était dans la ligne. Ce fut une bonne école de répétition et de fidélité. Au PS, on discutait beaucoup, à Paris comme à Biarritz et comme ce parti regroupait plusieurs tendances, les socialistes s’écoutaient les uns les autres surtout pour savoir à quelle tendance on appartenait. A La République en Marche règne pour le moment un brouillard idéologique. Les discussions dans les comités locaux se perdent dans les sables. Les discussions importantes sont réservées à des lieux que je ne connais pas.

Parlons clairement. Je râle parce que je n’en fais pas partie.

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