Michael D.
Higgins, président de la République d’Irlande, prend la parole dans le grand
amphithéâtre de la Sorbonne, le lundi 18 février 2013. J’ai reçu une invitation
de l’ambassade d’Irlande. Il faut cliquer pour s’inscrire et le jour J, à onze
heures, se présenter à l’entrée de la Sorbonne rue des Ecoles avec une carte d’identité.
J’ai cliqué et
préparé ma carte d’identité. En haut du perron, Les huissiers vérifient nonchalamment
les papiers d’invitation généralement imprimés sur du papier brouillon, envers
de facture EDF ou de relevé bancaire car les temps sont durs. J’entre dans le grand amphi qui a été
construit du temps où les gens mangeaient mal, faisaient moins de sport et les
genoux d’une personne moyenne enfoncent le dossier du fauteuil de la rangée
devant, la personne assise se retourne pour protester silencieusement. Il est
onze heures moins dix minutes.
Sur l’estrade
où tout à l’heure, Michael D. Higgins va prononcer son discours, des gens s’affairent.
Je termine la lecture de Libération,
je lis le discours du président qui s’intitule « quelle citoyenneté,
quelle Europe ? » imprimé dans une brochure où l’on indique l’horaire :
de 11H00 à 13h00. Il est 11h30. J’ai terminé la lecture des papiers imprimés
dont je dispose et je regarde la salle et l’estrade. La salle est composé
essentiellement d’étudiants qui sont là parce qu’on leur a dit de venir, j’ai l’impression.
Sans les étudiants, le grand amphi serait un grand désert. Quelques dizaines de
personnes sont venues réellement écouter Michael D. Higgins, président d’Irlande.
Je reconnais quelques collègues, Wesley Hutchinson, Carle Bonafous Murat, qui discutent avec des
étudiants sur l’estrade. Des sièges sont disposés de part et d’autre des
fauteuils d’apparat où tout à l’heure prendra place le président. Les étudiants
s’installent sur des sièges plus simples. Tout à l’heure, ils formeront un
panel et peut-être poseront-ils des questions. La salle se remplit. Des
personnes de plus en plus importantes viennent vérifier les lieux. Des
appariteurs, qui arrivent de la salle et manipulent des chaises et des micros. Puis
des employés de l’ambassade qui viennent vérifier les sièges, les micros. Ils
entrent par des portes côté cour et côté jardin. Des personnes de plus en plus
importantes viennent vérifier les fauteuils et les micros. Chaque fois, des
appariteurs déplacent un fauteuil, en emportent un en rapportent un autre,
déplacent les micros. Le vérificateur suprême est le grand chambellan du
président, l’aide de camp, qui porte un uniforme de général d’opéra-comique, chamarré
comme un maréchal soviétique. Il déplace le fauteuil prévu pour le président,
très légèrement. Tout à l’heure, c’est lui quoi viendra poser sur le lutrin en plastique
transparent le texte du discours. Sur un écran géant, passe en boucle un film
publicitaire pour le tourisme en Irlande, où l’on voit des touristes boire de la
bière, des musiciens, des paysages et des couples qui s’embrassent tellement
ils sont contents d’être là. Il est 11h45. A midi arrivent les personnalités :
l’ambassadeur d’Irlande, son Excellence Patrick Kavanagh, Jack Lang, des
députés, Pierre Joannon, consul d’Irlande à Antibes. A 12h15 se mettent en
place la président de l’université Sorbonne nouvelle et le recteur de l’université
de Paris, Monsieur Weill, qui sont rentrés par une porte de côté. Puis deux
huissiers en costume du dimanche ouvrent la lourde porte centrale et se placent
de part et d’autre pour laisser passer le président. Il est 12h20. J’ai
rendez-vous chez moi à 14h00 pour discuter d’un questionnaire pour les
habitants de la Goutte d'Or. Heureusement, Jacques Delors, prévu, est absent,
on ne dit pas pourquoi. Le recteur dit du bien de Michael D. Higgins, puis la
présidente de Paris III en dit du bien aussi. Jack Lang prend la parole, sans
doute à la place de Jacques Delors, et dit du bien de Michel D. Higgins. Je me
rappelle en l’écoutant parler qu’il avait invité, en tant que président de la
commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale, Gerry Adams et qu’il
l’avait présenté comme « un grand humaniste ». Il répète les mêmes compliments
pour Michael D. Higgins. Si Gerry Adams et Michael D. Higgins sont tous les
deux des grands humanistes, les mots sont disqualifiés et les personnes qui les
prononcent ne méritent guère de considération. Parce que Michael D. Higgins est
réellement un grand humaniste et le discours qu’il prononce maintenant dont j’ai
lu dans la brochure le texte français est un discours progressiste, humaniste, contre
les chauvinismes, les enfermements, les pouvoirs financiers sans régulation. L’Irlande est désormais un pays européen,
dirigé par un président de gauche, dont la parole est dénuée d’exotisme, de
mysticisme, de nationalisme. Seul le premier paragraphe est prononcé en
gaélique, traduit en français par ma collègue Cliona ni Riordan. Il est 13
heures 10, le discours se termine, tout le monde se lève, je pars avant les questions
et je rentre chez moi à vélib pour la réunion du groupe RAPGO.
L’histoire
récente de l’Irlande, Nord et Sud, a été tissée par des valeurs que son
président d’aujourd’hui dénonce avec véhémence, la haine de la raison, la censure
des intellectuels et des poètes, le pouvoir politique accordé aux chefs de
tribu et aux chefs de guerre. Pas un mot, pas une allusion à ce passé tout
proche dans le discours de Michael D. Toute sa démonstration ne prendrait-elle
pas une force de conviction si elle ne niait pas ce passé ? Si elle disait
simplement : quand je dénonce les dangers, je sais de quoi je parle parce
que c’est de là que je viens.
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