dimanche 17 février 2013

naomi klein, stratégie du choc


Naomi Klein, La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008

Selon Naomi Klein, le capitalisme du désastre est un d’opération consistant à lancer des raids systématiques contre la sphère publique au lendemain de cataclysmes et à traiter ces derniers comme des occasions d’engranger des profits. Le capitalisme à l’affut attend les crises d’envergure ou les provoque et pendant que les citoyens sont sous le choc, il vend l’État morceau par morceau à des intérêts privés.

Cette stratégie du choc reproduit à l’échelle de la société les résultats obtenus sur un détenu dans une prison. A l’instar du prisonnier terrorisé par les mauvais traitements qui donne le nom de ses camarades et renie sa foi, les sociétés en état de choc abandonnent leurs droits. L’État est privatisé, les ressources publiques transférées vers le privé,  une minorité accroit ses richesses tandis que la vaste majorité des citoyens reste en marge. Ces politiques provoquent des mécontentements et des révoltes et le gouvernement doit resserrer la surveillance, emprisonner, rétrécir les libertés civiles et parfois utiliser la torture.

Avec cette grille de lecture, Naomi Klein parcourt le monde. Pinochet, conseillé par Friedman et l’école de Chicago, privatise l’économie chilienne après le coup d’état. La junte militaire en Argentine fit disparaître 30 000 personnes, surtout des militants de gauche, afin d’imposer la même politique libérale. Le massacre de Tiananmen en Chine permit de transformer le pays en une gigantesque zone d’exportation où travaillent des salariés trop terrifiés pour faire valoir leurs droits. Boris Eltsine lance des chars d’assaut contre le parlement russe et ouvre ainsi la voie à une privatisation générale de l’économie russe. Au Royaume Uni, la guerre des Malouines en 1982 permit à Margaret Thatcher d’étouffer la grève des mineurs et de lancer la première vague de privatisations en Occident. En 1999, les bombardements de Belgrade par l’OTAN créèrent les conditions favorables à des privatisations rapides dans l’ex-Yougoslavie. Bush profita de l’attentat du 11 septembre 2001 pour lancer la guerre contre le terrorisme et faire de cette guerre une entreprise à but lucratif pour relancer une économie chancelante. Tétanisés par la peur, après l’ouragan, les habitants de la Louisiane devaient renoncer à leurs logements sociaux et à leurs écoles publiques. Après le tsunami, les pêcheurs sri-lankais devaient céder aux hôteliers leurs terres du bord de mer. Sous le déluge de bombe, les Irakiens cèdent aux Américains leurs réserves de pétrole. Si la catastrophe ne suffit pas, il faut recourir à des coups d’état, à la limitation des droits politiques. Ces violations, les tortures, les répressions, ne sont pas des actes sadiques mais des mesures pour terroriser la population et préparer le terrain à des réformes indispensables.

Les situations sont fort diverses et le mélange est parfois source de confusion. Ainsi, le massacre de la place Tienanmen par Deng permet le passage à l’économie de marché. Quand Mao réprimait, c’était au nom des ouvriers, dit l’auteure, en opposition à l’embourgeoisement du parti communiste, alors que Deng demandait aux travailleurs de renoncer à leurs avantages et à leurs privilèges, à la sécurité de l’emploi et à la protection sociale.  En Afrique du sud, l’ANC a remplacé l’apartheid par d’autres chaînes.  L’ANC a adopté des politiques qui creusent les inégalités, aggrave le problème de la criminalité. Les Sud-africains ont le droit de vote, bénéficient des libertés civiles mais sur le plan économique, l’Afrique du Sud est l’un des pays où les inégalités sont les plus prononcées. Les dirigeants russes, toujours conseillés par les économistes de l’école de Chicago, choisissent les mêmes politiques économiques que Pinochet au Chili. En ce qui concerne les pays ex communistes, l’idée générale est que  l’après communisme est pire que le communisme. Les nouvelles barrières n’appartiennent plus au monde du goulag, mais à celui des loges de luxe dans les stades, les sections non-fumeurs, les barrières anti-bruit le long des autoroutes, les zones de sécurité dans les aéroports, les résidences protégées.  Elles font ressortir les privilèges des nantis et l’envie des démunis.

Les désastres se traduisent par des profits si spectaculaires que de nombreux citoyens de la planète en concluent que les riches les ont provoqués. Ainsi les attentats du 11 septembre auraient été provoqués pour que les Etats-Unis entrent en guerre au Moyen Orient. Louis Farrakhan, le prophète musulman  d’une nation noire noir suggère qu’on a fait sauter les digues pendant le cyclone Katrina pour détruire la partie de la ville où vivaient les Noirs et garder au sec celle où vivaient les Blancs. Au Sri Lanka, le tsunami aurait été causé par des explosions sous-marines déclenchées par les Etats-Unis pour pouvoir envoyer leurs troupes en Asie du sud-est. Naomi Klein rejette ces aberrations. Il n’y a pas complot. Le capitalisme s’est seulement transformé en machine à traquer les crises pour en profiter. Ainsi le capitalisme israélien est le grand vainqueur du désastre de la région. Il domine sur le marché de la sécurité. Mais parfois la stratégie du choc ne marche pas, comme après les attentats de Madrid en 2004 qui ont été suivis par la défaite d’Aznar.

Une théorie se vérifie en se frottant aux questions, aux faits, aux contradictions. Le système construit par Naomi Klein devient dogmatisme sans nuance.  La destruction des Tours jumelles est-elle l’œuvre des terroristes islamistes. Etaient-ils aux ordres de Washington ? La guerre des Malouines a été allumée par l’invasion du territoire par les militaires au pouvoir. Aux ordres de Londres ? Elle s’est terminée par la fin du pouvoir militaire en Argentine. Les syndicats de mineurs étaient divisés face à Thatcher. Scargill et le jusqu’auboutisme ont joué un rôle important dans leur défaite. Scargill était-il manipulé par Thatcher ? On ne retient pas que les sorties de dictature permettent  de lutter plus efficacement contre les injustices. On oublie les millions de gens qui sortent de la pauvreté. On omet le fait que les zones où le système capitaliste domine est aussi celui où les pays vivent en paix les uns avec les autres, où les peuples sont le mieux protégés contre les catastrophes et les épidémies. La victoire d’Obama ou de Hollande contre les pires conservateurs reste inexpliquée. Pourtant, les peuples ont préféré des systèmes de santé et de protection sociale contre le capitalisme sans régulation.  Et Lula au brésil ? Chavez ? Bachelet, Kirchner ? Morales en Bolivie ? Rafael Correa en Equateur ?

Confusion aussi dans les solutions alternatives. Le non à l’Europe en France en 2005 : est tantôt une victoire contre l’Europe capitaliste, tantôt une victoire du chauvinisme. Elle définit le nationalisme ainsi : des populations fières, qui se sentent humiliées par des forces étrangères, cherchent à rebâtir leur amour-propre national en prenant pour cible les plus vulnérables. Naomi Klein loue le travail social du Hezbollah. Certes, les fonds distribués sont iraniens, mais l’organisation mène un travail communautaire efficace. Les autres modèles de résistance sont plus classiques : les échanges de médecins cubains contre le pétrole vénézuélien. L’Equateur qui quitte le FMI. Le travail communautaire en Thaïlande après le Tsunami. Partout des exemples de travail communautaire, en Inde, en Amérique du Nord.

Comment expliquer le succès d’un tel livre ? Comment expliquer l’influence persistante des écoles de pensée du Monde diplomatique ? Risquons une hypothèse. Le capitalisme est tout puissant et ne peut pas être combattu sur son terrain. Il faut donc se replier là où des victoires sont possibles : les luttes locales, particulières, régionales, ou nationales. Travail communautaire, économie solidaire, associations spécifiques. Ce travail n’est certes pas à négliger ou à mépriser. Il construit des solidarités et des citoyennetés. Il permet à des millions écartés des élites, privés de formation initiale,  de trouver une formation continue et de prendre des responsabilités. IL n’en reste pas moins que la social-démocratie affronte le pouvoir au plus haut niveau : celui de l’État, des organisations mondiales, de l’Europe. Là où c’est bien évidemment le plus difficile. 

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