Naomi Klein, La
stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008
Selon Naomi
Klein, le capitalisme du désastre est un d’opération consistant à lancer des
raids systématiques contre la sphère publique au lendemain de cataclysmes et à
traiter ces derniers comme des occasions d’engranger des profits. Le
capitalisme à l’affut attend les crises d’envergure ou les provoque et pendant
que les citoyens sont sous le choc, il vend l’État morceau par morceau à des
intérêts privés.
Cette stratégie
du choc reproduit à l’échelle de la société les résultats obtenus sur un détenu
dans une prison. A l’instar du prisonnier terrorisé par les mauvais traitements
qui donne le nom de ses camarades et renie sa foi, les sociétés en état de choc
abandonnent leurs droits. L’État est privatisé, les ressources publiques
transférées vers le privé, une minorité
accroit ses richesses tandis que la vaste majorité des citoyens reste en marge.
Ces politiques provoquent des mécontentements et des révoltes et le gouvernement
doit resserrer la surveillance, emprisonner, rétrécir les libertés civiles et
parfois utiliser la torture.
Avec cette
grille de lecture, Naomi Klein parcourt le monde. Pinochet, conseillé par
Friedman et l’école de Chicago, privatise l’économie chilienne après le coup
d’état. La junte militaire en Argentine fit disparaître 30 000 personnes,
surtout des militants de gauche, afin d’imposer la même politique libérale. Le
massacre de Tiananmen en Chine permit de transformer le pays en une gigantesque
zone d’exportation où travaillent des salariés trop terrifiés pour faire valoir
leurs droits. Boris Eltsine lance des chars d’assaut contre le parlement russe
et ouvre ainsi la voie à une privatisation générale de l’économie russe. Au
Royaume Uni, la guerre des Malouines en 1982 permit à Margaret Thatcher
d’étouffer la grève des mineurs et de lancer la première vague de
privatisations en Occident. En 1999, les bombardements de Belgrade par l’OTAN créèrent
les conditions favorables à des privatisations rapides dans l’ex-Yougoslavie.
Bush profita de l’attentat du 11 septembre 2001 pour lancer la guerre contre le
terrorisme et faire de cette guerre une entreprise à but lucratif pour relancer
une économie chancelante. Tétanisés par la peur, après l’ouragan, les habitants
de la Louisiane devaient renoncer à leurs logements sociaux et à leurs écoles
publiques. Après le tsunami, les pêcheurs sri-lankais devaient céder aux
hôteliers leurs terres du bord de mer. Sous le déluge de bombe, les Irakiens
cèdent aux Américains leurs réserves de pétrole. Si la catastrophe ne suffit
pas, il faut recourir à des coups d’état, à la limitation des droits
politiques. Ces violations, les tortures, les répressions, ne sont pas des
actes sadiques mais des mesures pour terroriser la population et préparer le
terrain à des réformes indispensables.
Les situations
sont fort diverses et le mélange est parfois source de confusion. Ainsi, le
massacre de la place Tienanmen par Deng permet le passage à l’économie de
marché. Quand Mao réprimait, c’était au nom des ouvriers, dit l’auteure, en
opposition à l’embourgeoisement du parti communiste, alors que Deng demandait
aux travailleurs de renoncer à leurs avantages et à leurs privilèges, à la
sécurité de l’emploi et à la protection sociale. En Afrique du sud, l’ANC a remplacé
l’apartheid par d’autres chaînes. L’ANC
a adopté des politiques qui creusent les inégalités, aggrave le problème de la
criminalité. Les Sud-africains ont le droit de vote, bénéficient des libertés
civiles mais sur le plan économique, l’Afrique du Sud est l’un des pays où les
inégalités sont les plus prononcées. Les dirigeants russes, toujours conseillés
par les économistes de l’école de Chicago, choisissent les mêmes politiques
économiques que Pinochet au Chili. En ce qui concerne les pays ex communistes,
l’idée générale est que l’après
communisme est pire que le communisme. Les nouvelles barrières n’appartiennent
plus au monde du goulag, mais à celui des loges de luxe dans les stades, les
sections non-fumeurs, les barrières anti-bruit le long des autoroutes, les
zones de sécurité dans les aéroports, les résidences protégées. Elles font ressortir les privilèges des
nantis et l’envie des démunis.
Les désastres
se traduisent par des profits si spectaculaires que de nombreux citoyens de la
planète en concluent que les riches les ont provoqués. Ainsi les attentats du
11 septembre auraient été provoqués pour que les Etats-Unis entrent en guerre
au Moyen Orient. Louis Farrakhan, le prophète musulman d’une nation noire noir suggère qu’on a fait
sauter les digues pendant le cyclone Katrina pour détruire la partie de la
ville où vivaient les Noirs et garder au sec celle où vivaient les Blancs. Au Sri
Lanka, le tsunami aurait été causé par des explosions sous-marines déclenchées
par les Etats-Unis pour pouvoir envoyer leurs troupes en Asie du sud-est. Naomi
Klein rejette ces aberrations. Il n’y a pas complot. Le capitalisme s’est seulement
transformé en machine à traquer les crises pour en profiter. Ainsi le
capitalisme israélien est le grand vainqueur du désastre de la région. Il
domine sur le marché de la sécurité. Mais parfois la stratégie du choc ne
marche pas, comme après les attentats de Madrid en 2004 qui ont été suivis par
la défaite d’Aznar.
Une théorie se
vérifie en se frottant aux questions, aux faits, aux contradictions. Le système
construit par Naomi Klein devient dogmatisme sans nuance. La destruction des Tours jumelles est-elle
l’œuvre des terroristes islamistes. Etaient-ils aux ordres de Washington ?
La guerre des Malouines a été allumée par l’invasion du territoire par les
militaires au pouvoir. Aux ordres de Londres ? Elle s’est terminée par la
fin du pouvoir militaire en Argentine. Les syndicats de mineurs étaient divisés
face à Thatcher. Scargill et le jusqu’auboutisme ont joué un rôle important
dans leur défaite. Scargill était-il manipulé par Thatcher ? On ne retient
pas que les sorties de dictature permettent de lutter plus efficacement contre les
injustices. On oublie les millions de gens qui sortent de la pauvreté. On omet le
fait que les zones où le système capitaliste domine est aussi celui où les pays
vivent en paix les uns avec les autres, où les peuples sont le mieux protégés
contre les catastrophes et les épidémies. La victoire d’Obama ou de Hollande contre
les pires conservateurs reste inexpliquée. Pourtant, les peuples ont préféré
des systèmes de santé et de protection sociale contre le capitalisme sans
régulation. Et Lula au brésil ?
Chavez ? Bachelet, Kirchner ? Morales en Bolivie ? Rafael Correa
en Equateur ?
Confusion
aussi dans les solutions alternatives. Le non à l’Europe en France en
2005 : est tantôt une victoire contre l’Europe capitaliste, tantôt une
victoire du chauvinisme. Elle définit le nationalisme ainsi : des
populations fières, qui se sentent humiliées par des forces étrangères,
cherchent à rebâtir leur amour-propre national en prenant pour cible les plus
vulnérables. Naomi Klein loue le travail social du Hezbollah. Certes, les fonds
distribués sont iraniens, mais l’organisation mène un travail communautaire
efficace. Les autres modèles de résistance sont plus classiques : les
échanges de médecins cubains contre le pétrole vénézuélien. L’Equateur qui
quitte le FMI. Le travail communautaire en Thaïlande après le Tsunami. Partout
des exemples de travail communautaire, en Inde, en Amérique du Nord.
Comment
expliquer le succès d’un tel livre ? Comment expliquer l’influence
persistante des écoles de pensée du Monde
diplomatique ? Risquons une hypothèse. Le capitalisme est tout
puissant et ne peut pas être combattu sur son terrain. Il faut donc se replier
là où des victoires sont possibles : les luttes locales, particulières,
régionales, ou nationales. Travail communautaire, économie solidaire, associations
spécifiques. Ce travail n’est certes pas à négliger ou à mépriser. Il construit
des solidarités et des citoyennetés. Il permet à des millions écartés des
élites, privés de formation initiale, de
trouver une formation continue et de prendre des responsabilités. IL n’en reste
pas moins que la social-démocratie affronte le pouvoir au plus haut
niveau : celui de l’État, des organisations mondiales, de l’Europe. Là où
c’est bien évidemment le plus difficile.
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