samedi 1 décembre 2018

impossible déconnexion.


Si je déconnectais mes réflexions, mon écriture, ce qui ressemble à un travail intellectuel, du monde tel qu’il va, si je trouvais dans l’alignement des mots un plaisir pur, jamais gâché par le lien entre ce plaisir et le monde tel qu’il est, si je trouvais dans les lettres qui défilent la même ivresse que dans l’alcool, un plaisir détaché du monde, détaché même de la lecture par d’autres lecteurs que le lecteur écrivant, si je trouvais dans le défilé des mots une satisfaction sans lien avec leur publication, avec leur effet sur le monde tel qu’il roule, alors tout deviendrait facile. L’écriture deviendrait une drogue et tout drogué sait qu’il éprouve du plaisir à s’injecter un produit excitant sans se poser de question sur l’effet que peut produire cette injection sur le monde tel qu’il tourne.

Les malheurs du monde c'est à dire les miens, car je ne peux concevoir les malheurs du monde que comme l’agrandissement, la photocopie de mes malheurs individuels, les malheurs du monde donc viennent dans ce lien qui a été construit dans la famille, dans les écoles, dans les bureaux, dans les défilés. Certains plaisirs sont précieux parce qu’ils n’ont aucun lien avec le monde tel qu’il tourne. Plaisir d’amour, par exemple, est précieux, parce qu’il est d’une pureté de diamant, il ne recherche pas le spectacle, la scène, il se fiche du monde tel qu’il roule, il est plus pur que toutes les fumées, tous les shoots. Il ne demande rien d’autre que sa répétition, sa durée. Il ne se soucie guère de son influence, il ne cherche pas à être reproduit sur écran ou sur toile.

Malheureusement, la plupart des gens qui parlent, et j’en fais partie, la plupart des gens qui écrivent, et j’en fais partie, la plupart des gens qui chantent et qui dansent, et j’en fais partie, la plupart des gens qui marchent et qui crient, ne trouvent plaisir que dans l’effet que produit ces activités sur le monde tel qu’il respire. Même l’amour dans sa pureté essentielle est parfois gâté par la construction de liens sociaux avec le monde tel qu’il évolue. Et alors, de drogue pure et satisfaisante en soi, il devient source de mélancolie, de déception ou de désappointement.

S’ils ne trouvent pas dans leurs activités humaines ce plaisir sans lien avec le monde, par exemple la marche, la grimpée d’une côte à bicyclette, ils seront voués au malheur sans fin, à la déception renouvelée, car ce lien avec le monde tel qu’il consomme n’est jamais rassasié, il lui faut toujours plus.

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