jeudi 25 janvier 2018

excusez moi


Excusez-moi.



Ils étaient douze ou quinze autour de la table, la section socialiste de Biarritz  devait voter mon renvoi devant une commission de discipline parce que je dénonçais publiquement l’appui des élues aux prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée.  Ils ont voté et depuis leur candidat a  recueilli six pour cent des voix aux présidentielles et  Macron a été élu. Imaginez l’inverse : une majorité de socialistes biarrots refuse de me sanctionner et Macron battu par Fillon. Tout est pour le  mieux dans le meilleur des mondes.

Ils m’avaient renvoyé devant une commission disciplinaire et cette décision m’a beaucoup blessé. Je n’ai pas oublié. Les votants ont oublié. Ils n’ont jamais dit, je regrette, c’était une bêtise, ils font comme si rien ne s’était passé.  Biarritz est un village. Je les rencontre dans la rue, au café, à une réception, sur une terrasse, le long de la promenade des plages. Quand je suis avec d’autres personnes, je les présente : « je te présente M…, qui m’a envoyé devant une commission de discipline parce que je protestais contre l’appui des élus socialistes aux prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée ». M… bafouille.

J’ai été exclu du PCF. Parmi les gens qui m’ont exclu, certains m’ont présenté leurs excuses. Ils regrettaient. Je les remerciais. Ne vous en faites pas, nous n’étions pas au pouvoir, donc il n’y a pas mort d’homme. D’autres continuent à me dire bonjour, à me parler, à me dire, les temps étaient durs (pour les exclus comme pour les exclueurs, il y avait des responsabilités partagées), mais sans jamais dire : excuse-moi, je n’aurais pas dû t’exclure. Ceux-là ne se remettent pas en cause. Ils refusent de dire, de penser surtout, qu’ils ont été complices d’un système de massacre des peuples. Ils se rendent bien compte que s’excuser, c’est mettre le doigt dans l’engrenage, c’est commencer à penser que tout leur engagement était d’une historique nocivité. C’est difficile.

Quand il y accident de voiture et blessés ou pire, l’avocat dit à son client, surtout n’allez pas vous excuser auprès de la victime ou de la famille, parce que si vous vous excusez, ça veut dire que vous êtes coupable, et pour l’indemnisation, c’est catastrophique.

Comme responsable du PCF, j’ai exclu des gens. Quand je les rencontre, je m’excuse. Je leur dis, je te prie d’accepter mes excuses. C’est difficile, mais pas impossible. J’ai eu  la force de présenter des excuses parce que je sais que j’été complice de Staline et de  Pol Pot. Comme prof de fac, j’ai harcelé des collègues ou des étudiantes. Quand j’ai rencontré certaines de mes victimes, je leur ai présenté des excuses. Ce fut difficile. J’en ai eu la force parce que je pouvais replacer mes comportements inadmissibles comme partie d’un système de domination et de pouvoir. Si mes comportements étaient compris comme de simples badineries, je ne me serais jamais excusé.

Les excuses sont importantes, elles s’intègrent dans des combats politiques. Elles sont reconnaissance d’une responsabilité. Au Pays Basque espagnol, dans certains quartiers, les victimes rasent les murs. Les bourreaux paradent, font des discours, sont applaudis à la sortie de prison.

Si vous rencontrez Gaby Mouesca, demandez-lui s’il s’est excusé auprès de la famille d’Yves Giumarra. Comment, vous ne connaissez pas Mouesca ? Ah, si bien sûr vous connaissez. C’est Giumarra que vous ne connaissez pas. Yves Giumarra est un gendarme qui a été abattu par les amis de Mouesca dans une forêt des Landes, le 7 août 1983. Gaby Mouesca n’a jamais demandé pardon. En revanche, quand une famille de prisonnier crève un pneu en allant rendre visite à leur fils ou maris emprisonné, Gaby Mouesca demande à l’État français tout entier de présenter des excuses pour la crevaison d’un pneu, pour le rhume de l’épouse, pour la fatigue de la route.






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