dimanche 28 janvier 2018

moulins à vent


Moulins à vent ?



En 1995, le terrorisme était considéré comme le principal problème de la société basque espagnole par 45% des habitants d’Euskadi. En 2016, le pourcentage tombe à 0,7% (el Pais). Nous avons changé d’époque. Restent deux catégories de personnes qui se sentent de plus en plus étrangers dans leur pays : les demi-soldes de l’ETA et les victimes ou leur famille.

Nous parlons ici du Pays Basque espagnol. Le terrorisme n’a jamais été le premier sujet de préoccupation au Pays Basque français. Il est d’autant plus surprenant qu’un mouvement qui se présente comme mettant fin à la guerre sous le titre « les artisans de la paix », puisse ainsi entraîner les principales forces politiques et associatives du Pays Basque français. Comment expliquer qu’une société en paix négocie avec une organisation terroriste le désarmement symbolique de caches d’armes aussi inoffensives que les œufs de Pâques au printemps ? Comment une société qui condamne le terrorisme refuse-t-elle de débrancher une ETA agonisante ?

Si l’on en juge à la présence dans les conversations, dans la presse écrite ou les réseaux sociaux, dans les discours, ce sujet est tout simplement absent. Il faut s’intéresser pour trouver des dossiers, des articles, dans la presse nationaliste comme Enbata, de temps en temps dans sud-ouest. On comprend bien pourquoi les patriotes ont besoin de prisonniers, de martyrs, de livres de prison. Sans Jésus-Christ, pas d’église romaine,  sans martyrs, pas de nation. Mais comment trouvent-ils des élus, des maires, des députés, des sénateurs, qui les accompagnent dans une promenade non pas  de santé, mais de survie ?

 Ce phénomène est propre au Pays Basque français. Partout où des fous de la nation ont fait couler le sang, ils sont applaudis par ceux qui ont une conception guerrière de la politique, mais vilipendés par les démocrates. En Corse, une cérémonie marquera le vingtième anniversaire de l’assassinat du Préfet Erignac. Au Pays Basque espagnol, on connaît Yoyès et Miguel Angel Blanco. Au Pays Basque français, on connaît Gaby Mouesca et Philippe Bidart et  personne ne lit Patria, L’année est rythmée par deux grandes manifestations, les fêtes de Bayonne et la fête de la paix. Dans la première, Jean-René Etchegarray, quand il était maire de Bayonne, lançait les clés de la ville aux festayres. Dans la seconde, le même Jean-René Etchegarray, devenu lehendakari de la communauté d’agglo du Pays Basque, lance une sucette aux combattants démobilisés parce que sinon, ils vont se mettre à hurler et à trépigner.

Et pourquoi tu t’en fais ? Pourquoi ça te tracasse ? Es-tu inquiet des fêtes de Bayonne ? La fête de Pampelune te fait-elle peur ? Pourquoi cette colère, cette inquiétude, qui vire parfois à l’angoisse, devant ces soins palliatifs pour une guerre morte? Le Pays Basque français a le droit de faire la fête à sa manière. Il a sa langue, ses chansons, ses danses, ses poèmes. Après tout, la France tout entière chante régulièrement « formons non bataillons, marchons, marchons, qu’un sanguimpur… ». Et le 11 novembre, le 14 juillet, des anciens combattants viennent présenter les armes sous les confettis, pendant que le village danse place de la mairie. Pourquoi le Pays Basque n’aurait-il pas le droit d’avoir des anciens combattants décorés, ses drapeaux déployés, ses veuves et ses orphelins ?

Je suis inquiet du manque d’inquiétude, de la tranquillité avec laquelle la socialiste Sylviane Alaux souhaite que l’ETA ne se dissolve pas, car l’organisation terroriste doit garder une place à la table des négociations. Je suis inquiet des visites deVincent Bru aux prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée. De la manière dont il les trouve corrects.  Inquiet parce qu’il faut des mois de travail, de discussions, de coups de téléphone, pour que les élus du Pays Basque français acceptent d’aller rencontrer des associations de victimes, en traînant les pieds. Même ces amis qui me suivent, qui sont d’accord avec moi, ne semblent pas partager mes inquiétudes. Le repli identitaire leur semble un danger lointain. Tellement flou qu’il est difficile à combattre. Comment dissiper des brumes autrement qu’en attendant un coup de vent ?

Si je suis inquiet pour rien, s’il n’y aucun danger de repli identitaire au Pays Basque français, alors je m’évertue à combattre des moulins à vent. Ce ne sont pas des monstres lui crie Sancho Panza, ce ne sont pas des chevaliers. Quelle rude vie que celle de Don Quichotte ! Entre les paysans qui le bastonnent, les pèlerins qui le rudoient, sa famille qui se moque, comment peut-il s’obstiner ? Comment tenir bon alors tous les autres ne voient que des moulins à vent ?

Aux élections, les patriotes tournent autour de dix pour cent. Suffisant pour qu’ils soient intégrés dans des majorités municipales ou d’agglo. Tout le monde a besoin de ces dix pour cent pour être élus. En échange, on obtiendra des ikastolas, des cours de basque, des délégations dans les prisons auprès des prisonniers basques condamnés pour activités terroristes en bande armée.  Le président d’un festival dira « egun on », l’animatrice dira milesker et personne ne condamnera quelques excités qui brûlent une maison ou une agence immobilières. Pas de quoi en faire un piment d’Espelette.

Les patriotes envoient leur soutien aux indépendantistes catalans, aux autonomistes corses. Ils réclament le rapprochement des prisonniers, le retour des exilés, la réintégration des libérés. Mais on voit bien que ces incursions adultères sont l’admission morne d’une stagnation autochtone. Ils constatent comme moi que ça patine. Bon, ils vont obtenir le rapprochement des prisonniers qui depuis longtemps savent que le combat est perdu. Plus ils sortent de prison, plus la conscience de l’échec sera aigue. Il faudrait qu’ils restent encore quelques années, le temps d’une reprise, on ne sait jamais. S’il n’y a plus aucun prisonnier, il restera quelques sièges à la communauté d’agglo, des négociations aux municipales pour des strapontins, la korrika annuelle sans portraits de prisonniers. Comme de l’axoa sans piment.

Il resterait alors des patriotes sans objectif, des républicains sans adversaires, alors que partout ailleurs menace le repli identitaire. Le grand projet abertzale du siècle dernier est-il devenu un moulin à vent ? Les patriotes ferait semblant de lutter pour l’indépendance et moi je ferais semblant de penser qu’ils constituent un vrai danger.

Ouvrez les yeux. Une coalition sans principes a donné au Pays Basque français des frontières. Désormais, une mécanique s’est mise en route. La frontière doit être justifiée, elle doit entourer des locuteurs, elle doit désigner des résidents, elle doit trouver des ancêtres et louer les martyrs. Ce ne sont pas des moulins à vent qui la dessinent.


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