vendredi 28 septembre 2012

amnistie et amnésie


            Sur le parvis de la Gare du Midi, chaque année au mois de septembre, le festival du film latino-américain de Biarritz attire les foules. Chaque année, un comité de solidarité pour les prisonniers basques manifeste pour la libération des prisonniers, demande le rapprochement près de leur famille, leur libération pour raisons sanitaires. L’automne, pour moi, c’est ça. Ce n’est pas la chute des feuilles, les nuages gris et les vents mauvais. C’est le festival latino et la manifestation des patriotes basques. Cette année, 2012, je m’étais préparé. Sur une feuille A4, je m’étais fabriqué une petite affiche, glissée dans un classeur transparent pour la protéger de la pluie et des frisages. La voici :


Oui au rapprochement, oui aux libérations anticipées. Les prisonniers basques ont droit à la justice et à l’humanité que l’ETA a refusées à ses victimes

            J’entre dans la salle du festival et j’en ressors vers dix-neuf heures. Ils sont là, sur les marches, des grandes affiches qui servent tous les ans et un manifestant avec un masque blanc couché sur le sol pour demander la libération des prisonniers malades. Je sors mon affichette et je me range à côté des manifestants. Pendant un long moment, rien ne se passe. Les passants ne lisent pas mon texte, ils me rangent parmi les patriotes basques. Puis une dame prend mon texte en photo. Une autre le lit et s’étonne. Enfin une manifestante s’approche, me regarde sans sympathie, un autre manifestant s’approche, lit mon texte, me demande fermement de dégager, comme je ne dégage pas, il m’arrache mon affichette. Je lui cours après, je crie à la censure, Moscou, Pol Pot, fascistes, heureusement que vous n’êtes pas au pouvoir, la manifestation bien calme jusque là s’échauffe. Des gens s’approchent et m’expliquent que je ne suis pas à  ma place avec ce texte. Puis Gaby Mouesca et Zigor, figures connues du nationalisme basque, militants de la première heure, prisonniers, des amis avec qui je me dispute depuis des années, viennent me protéger. Ils sont politiques et savent que surtout, il ne faut pas que je devienne une victime. Parce que ça ferait tout basculer. Les victimes, c’est eux. Surtout pas moi. Donc ils vont rechercher l’affichette, me la rendent, disent que je peux continuer à manifester, mais que c’est une provocation. Une provocation ? Je leur réponds pas du tout : je demande comme eux le rapprochement, la libération des malades. Oui mais la dernière phrase est une provocation ? Ah bon ? L’ETA a accordé justice et humanité à ses victimes ? Je parle fort, bien sûr. Et je dis très fort, en répétant : amnistie, pas amnésie. C’est un bon mort d’ordre.

            Puis je vais boire un verre de vin avec des amis et je retourne dans la salle voir un film uruguayen sur un vieux bonhomme atteint d’Alzheimer. Il a complètement oublié que pendant trente ans, il avait terrorisé sa famille. 

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