Pour s’affirmer, ne jamais raser
les murs, roulez au milieu et si possible devant. Prenez la tête de la
circulation. A l’arrêt, dépassez les véhicules immobilisés par les feux rouges
et placez-vous en tête du cortège, si possible avec un drapeau rouge.
Hier samedi,
du Château rouge à la Fontaine au Roi. Consultez l’application vélib sur votre téléphone intelligent,
Samsung ou Iphone, peu importe. L’écran vous interroge. Quelle ville ?
Paris. Les arrondissements défilent. Des vélos face au 36 de la rue Cavé, douze
vélos. En état de marche. Ils sont là, effectivement, en chair et en os. Aucun
pneu crevé, aucune chaîne décrochée, aucun guidon tremblant, aucune fixation de
selle brisée. Vous posez la carte sur la lumière verte, le verrou se libère, le
vélo est à vous. A tu et à toi.
Prenez
la rue Cavé et la rue Saint Luc en sens interdit. Contournez l’église
Saint-Bernard devenue lieu de pèlerinage pour les sans-papiers, tournez à
droite rue Stephenson jusqu’au boulevard de la Villette, traversez le
terre-plein et prenez une piste cyclable protégée, en site propre, jusqu’à la
Chapelle. Malgré le petit muret qui indique la frontière, des voitures
stationnent de temps en temps. Mais peu. Aux feux, les piétons considèrent que
la piste n’est pas concernée par les pastilles de couleurs et attendent leur
tour planté sur votre territoire. Pardon, merci, ceci est une piste, rien de
tragique. A la Chapelle, placez-vous en tête, toujours. Quand la circulation
s’arrête, tournez à droite avenue de Flandres puis à gauche vers la piste
protégée qui longe le canal. Vous êtes à peu près tranquille jusqu’à la
République. La piste s’arrête avant la Fontaine au Roi, placez-vous dans la
file de gauche, tournez à gauche, le bras gauche penché vers le sol, l’index
indique le bitume. Montez la Fontaine au Roi jusqu’à la première station et
renfilez votre vélib. Le reste à pied. Sur le trottoir de gauche, car le
trottoir de droite est souvent occupé par des SDF qui dorment sur un matelas
relatif. Notez qu’à la différence des voitures, les SDF sont des piétons,
souvent assis ou couchés, mais des piétons. Ils ont parfaitement le droit de
dormir ou de manger ou de discuter sur les trottoirs de la Fontaine au Roi.
Comme le trottoir est étroit et qu’ils sont allongés perpendiculairement au
mur, pour avoir le spectacle de la rue en face d’eux, si vous remontez à pied
sur le trottoir tribord, vous avez l’impression de traverser leur chambre à
coucher s’ils dorment, leur salle à manger s’ils mangent, leur salon s’ils
discutent. Par respect, il est donc recommandé de prendre la trottoir bâbord. Ces
déplacements à pied prolongent un parcours cyclo, mais ne font pas partie du
champ choisi des conflits urbains. Ils sont donc mentionnés ici pour ouvrir
d’autres pistes de recherches. Il faut bien délimiter le sujet car sinon,
pourquoi ne pas analyser la montée des marches dans les immeubles, la prise
d’ascenseur, la coulée verte entre la Bastille et le Bois de Vincennes, le
glissement des tapis roulants et le chuchotement des escaliers
mécaniques ? Il y aurait beaucoup à dire et beaucoup à faire dans ces différents
domaines. Et pourquoi pas non plus, tant qu’on y est, parler des vendeurs à la
sauvette.
Non. Le sujet est trop
grave pour être dilapidé, pour se dissoudre dans d’autres sujets, certes
importants, mais malgré tout secondaires. Regardons les choses en face. La
présence massive de la bicyclette dans les déplacements urbains a déjà des
effets qui dessinent ce que pourrait être une société humaine dans les grandes
métropoles. Les vélos ralentissent les voitures et diminuent donc fortement le
nombre d’accidents dont la majorité est due à une vitesse trop élevée. Economie
pour la sécurité sociale, pour les hôpitaux débordés jusqu’à récemment par les urgences routières. Economie
d’essence : les voitures roulent moins vite, elles consomment moins. Economie
de santé encore, car les voitures roulant plus lentement, elles polluent moins,
les bébés sont plus roses dans leurs Lamborghini, les vieillards respirent
mieux et peuvent donner davantage de conseils aux plus jeunes sans
s’essouffler, l’intergénérationnel se développe, des mains se nouent, des
regards se croisent, la vitesse tue moins et quand les statistiques d’une
éloquence raide, disent que grâce aux cyclistes, deux cent morts par an ont été
épargnées, je demande que ces deux cents morts qui n’ont pas eu lieu, quittent
le domaine des statistiques et soient répertoriées afin que les familles qui
n’ont pas subi de tels drames puissent célébrer l’absence de tragédie dans des
fêtes retentissantes. On pourrait imaginer qu’on invite à ces fêtes un cycliste
aléatoire pour qu’il soit publiquement remercié : grâce à toi, ô Antoine
Belvédaire, mon fils Armand est toujours vivant, sois-en remercié.
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