dimanche 8 décembre 2019

levez la main


Ce qui est drôle, intéressant, bizarre, baroque, est d’influencer la vie politique locale ou nationale sans effort. Normalement, pour faire de la politique et accéder aux réseaux d’influence, il faut passer par les grandes écoles, se dépêcher de sortir de l’ENA avant sa disparition, militer dans un cercle politique, voyager régulièrement entre Biarritz et Paris, flatter les puissants et mépriser les inutiles,enfin, je ne vais pas vous refaire la millième biographie des hommes politiques français. C’est beaucoup de travail. Moi, je fais de la politique sans effort. Comme on respire. Je suis né dans la politique, dans la potion magique du communisme qui faisait d’un jeune morveux un révolutionnaire mondial. Puis j’ai goûté le bouillon empoisonné  de la dissidence. Pareil. Sans effort. Du temps de Marchais et d’un parti en glaciation, il me suffisait de lever la main pour demander la parole et avant même de parler, le ronron était brisé, les bouches s’ouvraient, les regards pétillaient. Les camarades étaient d’accord mais ils trouvaient quand même que j’exagérais, que je portais atteinte à l’objectif plus général. Alors que je n’avais rien dit, j’avais juste levé la main. Les apparatchiks me haïssaient. Ils avaient passé leur vie à cirer les bottes, à flatter les chefs, à monter les escaliers, à manifester entre Bastille et Nation, entre Nation et République, à justifier l’envahissement de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de l’Afghanistan, et un petit mec qui enseignait l’histoire du mouvement ouvrier dans les pays anglophones à une trentaine d’étudiants, accédait à la notoriété seulement en levant la main, on discutait pendant des heures au Bureau politique pour comprendre pourquoi il avait levé la main, la bourgeoisie s’en était saisi pour affaiblir l’influence de la classe ouvrière et de son parti. Je vous assure que je ne plaisante pas. Faire bouger les lignes comme on prend une douche tiède monte à la tête et on finit pas croire qu’il suffit de lever la main pour conquérir l’Everest.

Le virus de la paresse militante ne m’a jamais quitté. Partout où je passais, je recherchais avec ardeur le chemin le plus court d’un fauteuil à une chaise longue. À Belfast, l’association des étudiants protestants avaient invité David Irving, un historien négationniste. J’avais passé de longues heures aux Archives pour rédiger l’histoire du syndicalisme protestant. Je savais que je n’irai nulle part avec ce travail, qui a effectivement été publié mais qui le sait ? Alors qu’avec David Irving, je tenais la perche qui m’installerait dans un fauteuil doré. Je suis allé à sa conférence, où il a expliqué pendant une heure qu’Adolf  Hitler, en fait ne voulait pas exterminer mes parents, mais seulement les regrouper dans l’île de Madagascar et c’est parce que ma famille a refusé d’aller à Madagascar qu’il s’est résigné à ouvrir les camps de Buchenwald et Auschwitz. À la fin de son exposé, j’ai levé la main et tout a explosé.   

Mes activités politiques au Pays Basque sont plus récentes et peut-être plus familières. Les mêmes méthodes produisent les mêmes effets. Et les mêmes ressentiments de ceux qui s’évertuent à construire une carrière politique en mouillant leur chemise  et qui s’énervent de voir un rien du tout lever la main et juste en levant la main, voici l’histoire de leur vie qui se transforme en château de carte, en château de sable et quand j’étais parent, que j’avais passé la matinée à construire un château sur la plage pour mes marmots, que j’avais mis un drapeau sur la tour centrale, versé de l’eau dans les douves, un môme passait et mettait par terre d’un seul coup de pied l’œuvre  d ’une journée au soleil, j’étais furieux, hors de moi et je comprends la colère des bâtisseurs de château de sable, ceux qui passent des mois, des heures, à commander la sculpture d’une hache, qui lancent des invitations pour le vernissage et le jour venu, des rien du tout, des moins que rien, lancent un coup de pied dans la sculpture et la sculpture va rouiller dans un hangar. Je comprends leur colère, je ne la partage pas, mais je la comprends.

Et à nouveau, des entrepreneurs de la politique, des constructeurs de carrière, passent des heures et des heures dans les trains entre Biarritz et Paris, piétinent dans les antichambres, téléphonent dans les ministères, organisent des conférences de presse, peaufinent leur carnet d’adresses, redécouvrent que le capitaine avait un âge. Le sang coule plus vite dans leurs veines, les yeux pétillent, ils préparent des coups, ils soignent leurs relations. Des mois et des mois de travail.

Et puis j’ai levé la main.

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