Ce qui est drôle, intéressant, bizarre, baroque, est
d’influencer la vie politique locale ou nationale sans effort. Normalement,
pour faire de la politique et accéder aux réseaux d’influence, il faut passer
par les grandes écoles, se dépêcher de sortir de l’ENA avant sa disparition, militer
dans un cercle politique, voyager régulièrement entre Biarritz et Paris, flatter
les puissants et mépriser les inutiles,enfin, je ne vais pas vous refaire la
millième biographie des hommes politiques français. C’est beaucoup de travail.
Moi, je fais de la politique sans effort. Comme on respire. Je suis né dans la
politique, dans la potion magique du communisme qui faisait d’un jeune morveux
un révolutionnaire mondial. Puis j’ai goûté le bouillon empoisonné de la dissidence. Pareil. Sans effort. Du
temps de Marchais et d’un parti en glaciation, il me suffisait de lever la main
pour demander la parole et avant même de parler, le ronron était brisé, les
bouches s’ouvraient, les regards pétillaient. Les camarades étaient d’accord
mais ils trouvaient quand même que j’exagérais, que je portais atteinte à
l’objectif plus général. Alors que je n’avais rien dit, j’avais juste levé la
main. Les apparatchiks me haïssaient. Ils avaient passé leur vie à cirer les
bottes, à flatter les chefs, à monter les escaliers, à manifester entre
Bastille et Nation, entre Nation et République, à justifier l’envahissement de
la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de l’Afghanistan, et un petit mec qui
enseignait l’histoire du mouvement ouvrier dans les pays anglophones à une
trentaine d’étudiants, accédait à la notoriété seulement en levant la main, on
discutait pendant des heures au Bureau politique pour comprendre pourquoi il
avait levé la main, la bourgeoisie s’en était saisi pour affaiblir l’influence
de la classe ouvrière et de son parti. Je vous assure que je ne plaisante pas.
Faire bouger les lignes comme on prend une douche tiède monte à la tête et on
finit pas croire qu’il suffit de lever la main pour conquérir l’Everest.
Le virus de la paresse militante ne m’a jamais quitté.
Partout où je passais, je recherchais avec ardeur le chemin le plus court d’un
fauteuil à une chaise longue. À Belfast, l’association des étudiants
protestants avaient invité David Irving, un historien négationniste. J’avais
passé de longues heures aux Archives pour rédiger l’histoire du syndicalisme
protestant. Je savais que je n’irai nulle part avec ce travail, qui a
effectivement été publié mais qui le sait ? Alors qu’avec David Irving, je
tenais la perche qui m’installerait dans un fauteuil doré. Je suis allé à sa
conférence, où il a expliqué pendant une heure qu’Adolf Hitler, en fait ne voulait pas exterminer mes
parents, mais seulement les regrouper dans l’île de Madagascar et c’est parce
que ma famille a refusé d’aller à Madagascar qu’il s’est résigné à ouvrir les
camps de Buchenwald et Auschwitz. À la fin de son exposé, j’ai levé la main et tout
a explosé.
Mes activités politiques au Pays Basque sont plus
récentes et peut-être plus familières. Les mêmes méthodes produisent les mêmes
effets. Et les mêmes ressentiments de ceux qui s’évertuent à construire une
carrière politique en mouillant leur chemise
et qui s’énervent de voir un rien du tout lever la main et juste en
levant la main, voici l’histoire de leur vie qui se transforme en château de
carte, en château de sable et quand j’étais parent, que j’avais passé la
matinée à construire un château sur la plage pour mes marmots, que j’avais mis
un drapeau sur la tour centrale, versé de l’eau dans les douves, un môme
passait et mettait par terre d’un seul coup de pied l’œuvre d ’une journée au soleil, j’étais furieux,
hors de moi et je comprends la colère des bâtisseurs de château de sable, ceux
qui passent des mois, des heures, à commander la sculpture d’une hache, qui
lancent des invitations pour le vernissage et le jour venu, des rien du tout,
des moins que rien, lancent un coup de pied dans la sculpture et la sculpture
va rouiller dans un hangar. Je comprends leur colère, je ne la partage pas,
mais je la comprends.
Et à nouveau, des entrepreneurs de la politique, des
constructeurs de carrière, passent des heures et des heures dans les trains entre
Biarritz et Paris, piétinent dans les antichambres, téléphonent dans les
ministères, organisent des conférences de presse, peaufinent leur carnet d’adresses,
redécouvrent que le capitaine avait un âge. Le sang coule plus vite dans leurs
veines, les yeux pétillent, ils préparent des coups, ils soignent leurs
relations. Des mois et des mois de travail.
Et puis j’ai levé la main.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire