25 mars 20. Encore au moins quatre semaines de
confinement. Si vous connaissiez des êtres intelligents vivant dans une autre
planète et que vous deviez leur expliquer ce que signifie ce mot, vous leur
diriez quoi ? Que d’habitude, les enfants sont envoyés dans des
établissements scolaires pour apprendre à lire et à écrire, peut-être même à
raisonner et à penser, à calculer et à comprendre d’autres langues que la leur.
Que les professionnels qui assurent cette formation se nomment enseignants. Vous
leur expliquerez que ces établissement sont fermés parce qu’un virus dangereux
se promène dans les rues et les campagnes et que la manière la plus efficace de
lutter contre ce virus est de limiter au maximum les rencontres, les sorties,
les manifestations. Donc, sur cette planète terre, les spectacles, les
défilés, les rencontres sportives, les manifestations pour et les
manifestations contre, les cérémonies religieuses sont interdites et à la place
de ces événements festifs, vous avez des images animées qui leur ressemblent
mais ne les remplacent pas. Les personnes qui ne peuvent pas être confinées
sont celles qui fournissent les produits de première nécessité : des abris
contre la pluie et le froid, les moyens de transport pour se déplacer, des
légumes et des viandes pour se sustenter, des personnels médicaux pour soigner
les malades, surtout en cas d’épidémie. Et les journalistes radio et télé qui
nous prouvent en parlant très vite que le monde continue de tourner.
Faut-il en conclure que grâce à ce virus, s’établit
une hiérarchie des urgences et des nécessités ? Sont nécessaires les
paysans et agriculteurs, pour que les calories produites permettent le
renouvellement de la force de travail. Nécessaires les enseignants qui
fournissent les outils indispensables pour la vie en société et le travail. Nécessaires
ceux qui bâtissent et transportent. Nécessaires ceux qui soignent. Nécessaires
ceux qui parlent dans un micro. Mais tous ceux que le confinement enferme
pendant de longues semaines découvrent peut-être qu’ils ne sont pas nécessaires.
Je prends un exemple au hasard. Je suis prof de fac retraité. Pendant une
quarantaine d’années, j’ai réussi à persuader un nombre de personnes suffisant de
me payer un salaire honnête, des voyages à l’étranger, des rencontres et des
séminaires, sur les relations entre religion et guerre communautaires en Irlande
du Nord. Le confinement m’indique que le monde continue de tourner sans ce
travail de recherche. Et me demandent les habitants de la planète lointaine, y
at-il d’autres métiers ou activités qui se révèlent non indispensables à l’occasion de cette crise ? Hélas oui,
des millions. Ne sont pas vraiment nécessaires les curés, les rabbins, les
pasteurs, les chanteurs, les poètes, les comédiens, les petits commerçants, les
musiciens, les greffiers, les administrateurs de bien, les banquiers, les
soldats, les gourous. Tous confinés. Et on remarquera à l’occasion de ce
confinement que ceux dont le travail est le plus nécessaire sont les plus mal
payés.
Le confinement modifie les hiérarchies. Sur notre terre, les applaudissements
sont généralement réservés aux vedettes sportives, aux chanteurs. Voici que les
confinés ouvrent les fenêtres pour applaudir le personnel soignant. Demain ils applaudiront
les éboueurs, les pompiers, les maçons et les professeurs des écoles.
Pendant ce temps sont confinés des millions de
personnes qui se rendent compte que le monde peut se passer d’eux. Ce n’est pas
le confinement qui les rend tristes ou moroses ou de mauvaise humeur, c’est de
se rendre compte que le monde peut se passer d’eux. Le peintre continue de se
rendre dans son atelier, le pianiste fait ses gammes, le comédien répète son rôle. En apesanteur.
Et demain, quand tout sera redevenu normal, tous ces
gens qui ne servent à rien devront reconquérir leur place dans la société, trouver
des arguments pour que les producteurs les entretiennent à nouveau et tout ce
qui a mis des siècles à se mettre en place devra à nouveau être retrouvé.
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