26 mars 20
Radio, émission spéciale sur le coronavirus. Hier, le
journal de vingt heures entièrement consacré au Coronavirus. Les chaînes d’information
et de débat couvrent le même sujet. Le professeur Raoult a-t-il inventé l’arme
suprême ? Cet envahissement total de tout l’environnement par un sujet
unique est la preuve que nous sommes en guerre. On peut discuter l’emploi du
mot. La guerre, c’est l’élimination des adversaires par la violence. On utilise
le mot pour le terrorisme (nous sommes en guerre contre le terrorisme). Pour la
drogue : « nous sommes en guerre contre la drogue). Mais si la guerre
est l’élimination de tous les sujets sauf elle-même, alors nous sommes en
guerre.
En Irlande du Nord, jusqu’au cessez-le-feu, tout était
simple. La violence armée, les attentats, les crimes, chassaient tous les
autres sujets. Le nombre de morts, les arrestations, les justifications, les
condamnations, les prisons spéciales, les cours de justice hors norme, les
demandes de libération, les grèves de la faim dans les prisons, occupaient tout
l’espace. Chômage, santé, écoles, logements, étaient balayées sous le tapis.
Le confinement n’est donc pas seulement un enfermement
physique. Il est aussi enfermement intellectuel. Nous sommes enfermés en un
seul lieu avec un seul sujet. Comment vas-tu ? sonne comme un coup de clairon.
De la fenêtre, on applaudit les troupes qui passent. Les cercueils marquent les
défaites. L’arrière tiendra-t-il ? Les civils sauront-ils fabriquer les
armes dont nos soldats ont besoin ?
Comment s’échapper ? Le diable au corps en montre l’impossibilité. Une relation avec une femme
de soldat est trahison suprême, et cette trahison est punie par la mort. Un
lycéen est attiré par l’épouse d’un infirmier. Vous voulez que je vous raconte
la suite ?
S’il est impossible d’échapper à ce sujet unique,
allons voir dans d’autres situations d’enfermement comme les enfermés dans un
seul lieu, un seul sujet, gouvernaient leur temps. S’ils disposaient d’un
calendrier à feuilles volantes et connaissaient la date de leur libération,
chaque jour ils décollaient une feuille et se réjouissaient de l’amaigrissement
du bloc. Sans calendrier, ils gravaient sur le mur des bâtons qui s’accumulaient
en semaines, en mois, en années.
Et nous ? Impossible d’échapper au sujet unique. Allo,
combien de masques ? Un examen ou pas d’examen ? Jusqu’ici tout va
bien. Dépister tout le monde ? Annulés les Jeux Olympiques. Annulée la
visite des enfants. Depuis combien de temps tu n’as pas ri ? Des psys nous
donnent des recettes pour survivre.
Vous sautez par la fenêtre, vous tombez sur un
policier qui vous oblige à rentrer par la porte. Non, décidément, la seule
issue est d’admettre que nous sommes dans un merdier qui va durer encore quelques
semaines. Ce n’est pas à coups de morceaux de musique, de gymnastique sur
tapis, de séries policières, de lectures absorbantes, que nous allons en sortir.
La seule solution : admettre que nous sommes dans un cloaque. Il ne nous
reste qu’à maintenir la bouche au-dessus du bourbier. Et demander aux voisins
de ne pas faire de vagues.
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