mardi 10 mars 2020

mieux vaut la maladie qu'une panne de réseau


Après l’orage, l’accès au réseau internet m’est interdit. Je ne sais pas pourquoi une panne de réseau me déprime davantage qu’un cancer du poumon. Pourquoi ? Sans doute pour une question de vanité. Un cancer du poumon, ça classe un homme, c’est trente ans de cigarettes, de pipe, de papier rizla, de mains fiévreuses roulant le tabac, une vie d’homme, de vrai. Les gens se découvrent devant un cancer du poumon, ils prennent un air inspiré, envoient des messages de sympathie. Ou entourent de silence respectueux.

Tandis qu’une panne de réseau vous enfonce dans l’anonymat d’une foule dépendante de la foudre, d’une fibre cassée, d’un fil brûlé, vous replace dans les six milliards de dépendants de l’éther  pour communiquer, dans la foule de ceux qui attendent l’oreille collée contre le haut-parleur ne quittez pas, une personne va vous répondre, tapez deux pour un renseignement commercial, trois pour une aide technique, et si vous dites notre nom, ils s’en fichent complétement, ah bon, vous êtes Einstein, monsieur ou madame, ne quittez pas, Dieu va vous répondre, vous êtes Jésus, vous êtes Lénine, vous êtes sœur Theresa, l’abbé Pierre, ne quittez pas, quel est notre numéro de fixe, votre date de naissance, votre numéro de contrat, votre code d’accès au septième ciel, Monsieur Therésa ou Madame Thérésa ? Adresse ? Un technicien va passer dans trois semaines, entre le cinq et le huit mars, de huit heures du matin à vingt heures le soir, non, nous n’avons pas d’autre créneau,  Pour la mise en croix, nous n’avons plus rien pour Pâques, il ne nous reste que la Pentecôte,  pour la prise du Palais d’Hiver, il ne nous reste que la fin du mois d’octobre et pour la prise de la Bastille, nous n’avons rien avant le 18 juillet.

La panne de réseau vous plonge dans la dépression de l’anonymat tandis qu’un solide cancer du poumon vous redonne une identité qui pâlit avec le temps qui passe.

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