Après l’orage, l’accès au réseau internet m’est
interdit. Je ne sais pas pourquoi une panne de réseau me déprime davantage qu’un
cancer du poumon. Pourquoi ? Sans doute pour une question de vanité. Un
cancer du poumon, ça classe un homme, c’est trente ans de cigarettes, de pipe,
de papier rizla, de mains fiévreuses roulant le tabac, une vie d’homme, de
vrai. Les gens se découvrent devant un cancer du poumon, ils prennent un air
inspiré, envoient des messages de sympathie. Ou entourent de silence
respectueux.
Tandis qu’une panne de réseau vous enfonce dans
l’anonymat d’une foule dépendante de la foudre, d’une fibre cassée, d’un fil
brûlé, vous replace dans les six milliards de dépendants de l’éther pour communiquer, dans la foule de ceux qui
attendent l’oreille collée contre le haut-parleur ne quittez pas, une personne
va vous répondre, tapez deux pour un renseignement commercial, trois pour une
aide technique, et si vous dites notre nom, ils s’en fichent complétement, ah
bon, vous êtes Einstein, monsieur ou madame, ne quittez pas, Dieu va vous
répondre, vous êtes Jésus, vous êtes Lénine, vous êtes sœur Theresa, l’abbé
Pierre, ne quittez pas, quel est notre numéro de fixe, votre date de naissance,
votre numéro de contrat, votre code d’accès au septième ciel, Monsieur Therésa
ou Madame Thérésa ? Adresse ? Un technicien va passer dans trois
semaines, entre le cinq et le huit mars, de huit heures du matin à vingt heures
le soir, non, nous n’avons pas d’autre créneau,
Pour la mise en croix, nous n’avons plus rien pour Pâques, il ne nous
reste que la Pentecôte, pour la prise du
Palais d’Hiver, il ne nous reste que la fin du mois d’octobre et pour la prise
de la Bastille, nous n’avons rien avant le 18 juillet.
La panne de réseau vous plonge dans la dépression de
l’anonymat tandis qu’un solide cancer du poumon vous redonne une identité qui
pâlit avec le temps qui passe.
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