Chacun son expérience et l’une n’est pas plus « vraie » que l’autre. Dans l’histoire française, le PCF a joué un rôle dans la création et les succès du Front populaire, dans les mouvements anticolonialistes (Algérie, Vietnam), Il a joué un rôle idéologique dans la mise à jour permanente des intérêts et des conflits de classe, contribuant à démasquer les ruses de droite pour qui l’intérêt égoïste peut seul faire fonctionner une société, et les ruses de gauche pour qui il vaut mieux d’ardentes dénonciations que des réformes réelles. Ajoutons à ce bilan les réalisations sociales des municipalités communistes.
On peut aussi remarquer, après coup, que les mises en place des systèmes de sécurité sociale se sont accomplies avant la France dans d’autres pays européens où les PC étaient faibles. Les pays d’Europe du Nord et le Royaume-Uni, par exemple. On peut aussi remarquer, après coup, que des mouvements anticolonialistes ont été puissants dans des pays où les PC étaient faibles ou inexistants. On peut aussi remarquer que le suffrage universel féminin a été accordé bien avant la France dans des pays où les PC étaient faibles ou inexistants. Ces comparaisons peuvent être intéressantes pour les historiens, il reste qu’en France, les communistes ont occupé un rôle déterminant dans le mouvement social et qu’il a formé des générations de militants qui ont appris à organiser, à mobiliser, à penser.
En même temps, ces militants ont appris, les uns après les autres, que les PC du monde entier étaient inféodés à l’Union soviétique, financés par elle, et que le noyau solide de leur engagement était cette fidélité absolue au centre stalinien. En témoigne entre autres preuves le pacte germano-soviétique. Fidélité au système, croyance en sa supériorité, refus de voir les disfonctionnements, conviction que les avant-garde éclairées devaient tracer le chemin et ensuite ne reculer devant rien pour conserver le pouvoir, éliminer les déviants, affamer les peuples, écraser les révoltes dans l’empire. Être communiste, c’était justifier les procès, les camps « de travail », les brutalités d’un pouvoir dictatorial. Dans les années 1970, a eu lieu une percée vers des théories nouvelles, eurocommunistes. Puis tous ceux qui avaient pris ces bouleversements politiques et théoriques au sérieux ont été renvoyés du PCF après la rupture du programme commun en 1978. Être communiste était alors se montrer fidèle à l’égard de la direction du parti.
Comment se sortir de ces contradictions que chacun a vécues au plus intime ? Nous étions des militants exemplaires et des complices des crimes du stalinisme. L’horreur de ces crimes n’a rien à envier au système nazi. La différence est que si un ancien nazi nous parlait des autoroutes et de la fin du chômage en Allemagne après la prise du pouvoir par Hitler, quelle serait notre réaction ? La différence est qu’il est possible de se faire photographier sur la Place Rouge auprès de clones de Staline et Lénine, alors qu’on a du mal à imaginer des touristes se faisant photographier à Berlin auprès de clones d’Hitler ou de Goering. La différence est que les Allemands ont travaillé sur cette période, alors que le chercheurs russes sur les crimes de Staline ont un mal de chien à mener leur travail. La différence est que nombre d’intellectuels ou de militants en France se réclament du communisme en disant que sans les procès, sans Staline, sans la révolution culturelle, sans Staline et sans Mao, ce pouvait être un bon système. Et Mélanchon est ravi qu’on le compare à Georges Marchais.
Ma conviction est que la gauche toute entière peinera à se réformer si elle ne mène pas l’analyse approfondie de ce qu’ont été les engagements, le pouvoir et les meurtrissures du communisme. Sans cette analyse, les vieux démons reviennent, dans les tendresses à l’égard de Cuba (quand même, l’alphabétisation…), de Hugo Chavez. Dans les acceptations de formes d’action minoritaires. Dans les alliances sans principe avec une gauche dite révolutionnaire qui refuse la démocratie parlementaire, qui dénonce le pouvoir actuel comme une dictature du grand capital, parce que si nous vivons sous une dictature, comment appeler le système qui existait en Egypte, en Tunisie, qui existe en Algérie et en Lybie ?
En résumé, les analyses du communisme dans notre pays, et ailleurs, ne sont pas travail d’historien, rabâchage du passé, mais d’abord une intervention politique dans les combats d’aujourd’hui.
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