Sur notre rencontre du mardi 28 avril 2011 chez Jean Rony.
Nous sommes faits de chair et de sang, dit Jean. Nous avons des sentiments, dit Jean. Nous ne sommes pas méchants, dit Jean. Nous n'avons pas seulement des convictions, des idées, des hypothèses, nous ne sommes pas seulement des animaux politiques, nous avons aussi un cœur, dit Jean. Tout le monde aime Jean justement parce qu'il dit cela.
Nous avons tous été acteurs à des niveaux divers de l'un des plus meurtriers spectacles du vingtième siècle. Il en reste une histoire et l'on en montre les témoins survivants dans les écoles pour en témoigner les horreurs. Mais rarement les horreurs d'en face. Avez-vous remarqué? Il n'y a pas d'association des anciens déportés du goulag. Tomasz Kizny a photographié le goulag et publie un livre en 2003 aux éditions Acropole. Il s'étonne de voir des touristes occidentaux, à Moscou, porter en riant des T-shirts à l'effigie de Staline. "Je ne pense pas qu'ils rapporteraient d'Allemagne des pulls à l'effigie de Hitler." Le parallèle reste tabou dit Tomasz Kizny, parce que "les vainqueurs échappent au jugement de l'histoire". Ce parallèle est pourtant opéré par Jorge Semprun, ancien déporté de Buchenwald, dans la préface qu'il a donnée au livre : "Il me semble que la comparaison objective, documentairement fondée, entre les deux systèmes totalitaires est la dernière étape qui nous reste à franchir pour en finir définitivement avec l'aveuglement occidental relatif au goulag." Personne ne va parler dans les écoles des camps de concentration soviétique. Remarquez, dans les écoles russes non plus.
Nous communistes français avons accepté, soutenu, glorifié, justifié ardemment ou du bout des lèvres, le système concentrationnaire et policier soviétique. Quand on ne justifiait pas, quand on ne glorifiait pas, on était exclu ou on s'en allait. Nos camarades qui sont restés communistes, de cœur ou de carte, refusent l'idée que nous avons été complices et disent nous n'avons pas été complices. A force de répéter, on ne crée pas une vérité. Ils ne savaient pas? Ils ne voulaient pas savoir? Ils n'ont jamais été au pouvoir et n'ont jamais tué personne? Je n'ai pas dit criminels, j'ai dit complices. Complices, c'est quand on observe un cambriolage de bijouterie et qu'on ne téléphone pas à la police. Qu'on referme la fenêtre et qu'on affirme n'avoir rien vu.
Complices aussi par l'acceptation pendant de nombreuses années d'un système de pouvoir qui calquait le système soviétique. Quand on avait les moyens, on éliminait physiquement les adversaires comme pendant la guerre d'Espagne. Quand on en avait pas les moyens, on mimait les tribunaux soviétiques. Sans prison, sans garde-chiourme, sans peloton d'exécution. On faisait semblant. On condamnait, on excluait, on menait des campagnes d'explications contre les traîtres et les déviationnistes. J'en ai fait partie. Je sais. Nous le disons.
D'autres refusent de dire cela. Et nous leur manifestons notre profond désaccord et nous leur conservons notre amitié. Nous n'avons pas seulement des convictions, des idées, des hypothèses, nous ne sommes pas seulement des animaux politiques, nous avons aussi un cœur, dit Jean. Tout le monde aime Jean justement parce qu'il dit cela.
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