Je me suis souvent
réveillé de bonne heure avec l’insupportable idée que rien de nouveau n’illuminerait
la journée. Au point où je souhaitais l’accident ou la maladie qui briserait l’ennui
de la répétition. Dans certains cas, je souhaitais l’accident ou la maladie d’un
être proche, famille ou ami, et la tristesse de ce souhait, sa perverse
réalisation, me brisait la poitrine, pour deux raisons. L’une parce que l’accident
ou la maladie d’un être proche m’affectait d’autant plus qu’il était proche. L’autre
parce que je voyais cet accident ou cette maladie comme la réalisation d’un
souhait et je me sentais donc responsable de cet accident ou de cette maladie. J’étais
malheureux d’avoir provoqué la douleur d’un être cher. N’importe les
conséquences. L’idée d’un désastre limitrophe, d’un bouleversement domestique,
brisait la monotonie et les affres du remords concourraient à cette solution de
continuité.
Pour éviter les
remords, je souhaitais alors l’accident ou la maladie idiosyncrasique. Dans une
période de ma vie où le téléphone restait silencieux, ou les pouces levés sur
la toile se raréfiaient, où la voix qui prenait une réservation au téléphone me
demandait de répéter trois l’orthographe de mon nom, j’étais à peu près certain
que le moindre rhume, la plus petite rage de dents, l’usure d’une articulation,
une difficulté respiratoire, sans parler bien sûr des valeurs sûres comme AVC, cancer
et Alzheimer, provoqueraient un regain d’intérêt, des coups de téléphone, des
regards apitoyés, des poignées de main prolongées, des étreintes éloquentes. Sans
remords, puisque j’avais provoqué ces catastrophes sur ma propre personne.
L’intérêt suprême est
évidemment la mort. Depuis des années, on ne parlait plus de Jacques Chirac. Pas
un mot. Rien. Il suffit d’une simple panne de courant pour que les écrans
soient envahis de ses portrait, les ondes ne portent plus que son nom, les
journaux oublient le monde.
Pourtant je
rechignais aux rêves de pathologies intimes. J’ai toujours eu un problème avec
les maladies. J’ai toujours détesté les maladies. J’ai toujours pris la maladie
comme une agression personnelle. J’ai toujours eu l’impression maladive que la
maladie est l’intérêt de ceux qui n’en ont aucun autre. Longtemps, j’ai été
convaincu que si l’on emprisonnait les malades et si on soignait les
délinquants, le monde se porterait mieux.
Je ressens comme
une agression la question renouvelée « comment vas-tu ? ». Elle
réveille une panique ancienne, celle de ne plus provoquer de curiosité que pour
un disfonctionnement du corps. Comme si vous veniez d’acheter une voiture neuve
et au lieu de s’exclamer sur les lignes fluides, sur un tableau de bord
connecté, votre entourage demandait des nouvelles de la durite ou des
plaquettes de frein.
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