dimanche 29 septembre 2019

maladies collatérales


Je me suis souvent réveillé de bonne heure avec l’insupportable idée que rien de nouveau n’illuminerait la journée. Au point où je souhaitais l’accident ou la maladie qui briserait l’ennui de la répétition. Dans certains cas, je souhaitais l’accident ou la maladie d’un être proche, famille ou ami, et la tristesse de ce souhait, sa perverse réalisation, me brisait la poitrine, pour deux raisons. L’une parce que l’accident ou la maladie d’un être proche m’affectait d’autant plus qu’il était proche. L’autre parce que je voyais cet accident ou cette maladie comme la réalisation d’un souhait et je me sentais donc responsable de cet accident ou de cette maladie. J’étais malheureux d’avoir provoqué la douleur d’un être cher. N’importe les conséquences. L’idée d’un désastre limitrophe, d’un bouleversement domestique, brisait la monotonie et les affres du remords concourraient à cette solution de continuité.



Pour éviter les remords, je souhaitais alors l’accident ou la maladie idiosyncrasique. Dans une période de ma vie où le téléphone restait silencieux, ou les pouces levés sur la toile se raréfiaient, où la voix qui prenait une réservation au téléphone me demandait de répéter trois l’orthographe de mon nom, j’étais à peu près certain que le moindre rhume, la plus petite rage de dents, l’usure d’une articulation, une difficulté respiratoire, sans parler bien sûr des valeurs sûres comme AVC, cancer et Alzheimer, provoqueraient un regain d’intérêt, des coups de téléphone, des regards apitoyés, des poignées de main prolongées, des étreintes éloquentes. Sans remords, puisque j’avais provoqué ces catastrophes sur ma propre personne.



L’intérêt suprême est évidemment la mort. Depuis des années, on ne parlait plus de Jacques Chirac. Pas un mot. Rien. Il suffit d’une simple panne de courant pour que les écrans soient envahis de ses portrait, les ondes ne portent plus que son nom, les journaux oublient le monde.



Pourtant je rechignais aux rêves de pathologies intimes. J’ai toujours eu un problème avec les maladies. J’ai toujours détesté les maladies. J’ai toujours pris la maladie comme une agression personnelle. J’ai toujours eu l’impression maladive que la maladie est l’intérêt de ceux qui n’en ont aucun autre. Longtemps, j’ai été convaincu que si l’on emprisonnait les malades et si on soignait les délinquants, le monde se porterait mieux.



Je ressens comme une agression la question renouvelée « comment vas-tu ? ». Elle réveille une panique ancienne, celle de ne plus provoquer de curiosité que pour un disfonctionnement du corps. Comme si vous veniez d’acheter une voiture neuve et au lieu de s’exclamer sur les lignes fluides, sur un tableau de bord connecté, votre entourage demandait des nouvelles de la durite ou des plaquettes de frein.

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