lundi 1 juillet 2019

un mouchoir de poche


La vie politique dans un mouchoir de poche.



            Dans une ville de vingt-cinq mille habitants, si vous vous intéressez à la politique, si vous allez aux réunions des comités de quartier, si vous traînez à la terrasse des cafés, si vous assistez aux séances du conseil municipal, si votre famille par alliance et par recomposition se retrouve assise sur toutes les branches de toutes les généalogies, si cette famille comprend des médecins, des professeurs des écoles, des pharmaciens, alors vous pouvez être certain que vous, pourtant pièce rapportée, quasiment touriste, en vous promenant dans la ville, en allant chercher une baguette de pain, en lisant un journal local ou national, en sortant de la séance du cinéma d’art et d’essai dont la programmation s’est beaucoup améliorée ces derniers temps, en dégustant un vin chaud au jardin public, il est probable, fortement probable, que vous allez rencontrer un conseiller municipal ou une conseillère, ou un ou une candidate aux prochaines élections municipales, il est quasiment certain que vous allez croiser un sénateur, une sénatrice, le maire de cette ville côtière, une adjointe à la culture, un député modéré. C’est-à-dire, écoutez-moi bien, que même si vous ne vous intéressez pas à la politique, vous allez croiser en permanence les personnes qui incarnent cette politique.



            Je ne sais pas bien si vous vous rendez compte. Comme si, habitant d’une grande ville, par exemple Paris, vous sortez acheter une baguette de pain ou votre journal et vous vous posez la question « qui vais-je rencontrer aujourd’hui ? Anne Hidalgo ? Ian Brossat, Edouard Philippe, Emmanuel Macron ? ». Non seulement je vais les croiser, mais ils vont me reconnaitre, me dire bonjour. Vous discutez des migrants, du G 20, mais vous n’avez quasiment aucune chance de rencontrer un homme ou une femme politique qui est responsable directement de la décision dont vous êtes en train de discuter. Ici, c’est possible. Et même vraisemblable.



            Suivez-moi encore, voulez-vous. Si vous ne vous intéressez pas à la politique, si les grands problèmes de notre temps vous effleurent sans vous affecter, vous allez dire bonjour à ces représentants que vous avez peut-être élus, ou que vous n’avez pas élus, et la seule chose que trouverez à leur dire est comment allez-vous, monsieur le maire, ou quel beau temps, madame l’adjointe. Vous rentrerez ensuite chez vous et vous direz à la famille somnolente : « tu sais qui j’ai rencontré ? ». Ces rencontres sont parfois l’occasion de présenter des revendications particulières, les enfants qui font du bruit dans les cours de récréation, la chaussée défoncée, l’odeur des poubelles.



            Supposez maintenant que vous soyez un citoyen engagé contre les tendresses répétées à l’égard du terrorisme basque. Vous êtes vent debout contre la participation de votre maire à des cérémonies de blanchissage de la terreur. Vous allez chercher votre baguette de pain, lire votre journal, prendre un verre de vin à Bibi Etxola, sur la côte des Basques. Deux fois sur trois, vous rencontrez un élu ou une élue. Vous lui donnez votre sentiment. L’une est d’accord et vous le dit. Et le dit même publiquement. D’autres sont d’accord et vous le disent mais ne disent rien publiquement parce qu’ils ne veulent pas de conflit avec leur maire. Enfin, une petite minorité vous répète les éléments de langage de Bake Bidea :  « il y a des victimes partout », la formule de la lâcheté qui refuse de choisir entre les bourreaux et les victimes.



            Résultat : les élus vous évitent. Ils se détournent, font semblant de ne pas vous voir. Et pourtant vous n’arrêtez pas de les croiser. Question : qu’est-ce qui est le plus difficile : la politique dans une grande ville anonyme ou dans une petite ville où tout le monde se connaît ?



            S’ajoutent à cette trop longue introduction la toile et les réseaux sociaux. Des amis m’affirment que les élus lisent soigneusement tout ce qui les concerne sur les réseaux sociaux. Donc, non seulement je rencontre les élus dans l’espace public ou dans les concerts, les salles de spectacle ou les expositions, mais en plus je peux communiquer directement avec eux.



            Par exemple, en écrivant ce qui suit, je me demande si l’intéressé va me lire, et si la lecture par l’intéressé de ce qui suit influe sur le style et le contenu de de ce que j’écris sur la toile. Voici la scène. Le 7 juin dernier, je me trouvais par hasard au Casino Bellevue où se tenait une séance de Lessive de Bake Bidea et les Artisans de la Paix. Séance présidée par le maire de la ville de Biarritz dont je suis citoyen et que je croise souvent dans les rues de la ville. J’avais sous le bras une tribune du journal Libération intitulée « en soutien aux victimes de Josu Ternera ». Je tends cette tribune à Michel Veunac, qui descendait les marches vers la teinturerie, il me prend la tribune, me dit « il y a des victimes partout ». Il prend la feuille, la retourne sur son dossier pour que sa conscience ne rencontre qu’une feuille blanche. Il y a des victimes partout, mais ce jour-là, les victimes d’ETA étaient écrasées sous les dossiers du maire.



            Aujourd’hui lundi, 1 juillet 2019, le  Parisien publie les noms des 70 femmes qui ont été assassinées par leur conjoint.depuis le début de l ‘année.  Je me demande si le maire va réagir en disant « il y a des victimes partout », et retourner la liste de ces femmes assassinées à l’envers, comme pour les victimes d’ETA.

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