dimanche 30 juin 2019

la honte


La honte



Max Jacob : « ma conscience est un linge sale et c’est demain jour de lessive ». (cité par Dan Franck dans Le vol de la Joconde, Grasset, 2019, p.154).



            Jamais la sonde n’arrivera au fond du mystère, jamais la débroussailleuse n’éclaircira l’horizon et pourtant, je continue de m’interroger sur cet élan quasi-unanime des élus du Pays Basque pour célébrer la fin d’une guerre qui n’existait plus. Je comprends les demi-soldes d’une armée défaite. Cinquante ans de terreur infligée, des centaines de morts, des milliers d’années de prison, des vies amputées, ne pas laisser pourrir ce capital est pour eux une question de vie ou de mort. Ils ont donc organisé un spectacle son et lumière, une armée en bon ordre sort de l’ombre, remet ses panoplies au peuple rassemblé et demande à ses combattants de rentrer au foyer pour raconter aux enfants l’histoire héroïque des partisans. Ça se comprend. Je comprends aussi l’indifférence d’une partie de l’opinion. Quel que soit le pays, nous savons qu’une partie du peuple traverse l’histoire avec des œillères. Au mois d’aout 1944, certaines rues de Paris étaient barrées par des barricades, et dans les squares se disputaient des parties de pétanque. Il ne faut pas mépriser l’indifférence, elle contribue à une certaine continuité de la société.



            Ma question porte sur cette portion importante de la société basque française qui a contribué au spectacle, qui a  applaudi les comédiens, qui a même construit le décor de la pièce. Tous ces hommes et femmes politiques qui affirmaient qu’ils contribuaient à la paix, que sans eux le pays serait à feu et à sang. Ces contrefacteurs qui se baptisaient « artisans », ces politiques pour qui les prisons de terroristes emprisonnés sont des champs de bataille. Félicités par les séparatistes violents, décorés par les anciens adeptes de la terreur. Enthousiastes sur les places de Bayonne.



            Certains expliquent cet engagement cocasse pour des préoccupations électorales. Au bout de ce qu’ils appellent le chemin de la paix, il y a peut-être quelques voix à glaner. Je récuse cette explication. J’ai entendu nos édiles la main sur le cœur, je les ai vus pleurer de vraies larmes, ils parlaient de paix, du retour à la sérénité, d’une sortie de conflit, de Mandela, de Desmond Tutu. Ils ne jouaient pas la comédie.



            Mon hypothèse est autre. Ces engagements hystériques sont dus à la honte. La honte est un sentiment fort. La honte peut empêcher de dormir. Elle peut vous gâcher la vie. Or, pendant qu’ETA maintenait la société basque espagnole dans la terreur, que les collègues espagnols de Jean-René Etchegaray, Vincent Bru, Michel Veunac, Colette Capdevielle, Frédérique Espagnac, ne pouvaient pas sortir de chez eux sans gardes du corps, tous regardaient leurs chaussures. Aucun signe de solidarité, jamais de voyage pour serrer la main aux victimes, jamais d’écharpes tricolores dans les manifestations pour la paix. Quand ils auraient pu être de véritables pèlerins de la paix, ils détournaient les yeux, quand ils auraient pu être de véritables artisans de la paix, ils fermaient les volets. Avec le soutien tacite, résigné, d’une société basque qui acceptait que son territoire soit utilisé comme sanctuaire par les terroristes pour les assassins en échange d’une neutralisation. Le Pays Basque français fut ainsi zone refuge, la Suisse des Pyrénées.



            A la libération en France, les plus vociférants, les plus coiffeurs pour dames sur place publique, les plus méchants avec les collabos arrêtés, étaient ceux qui s’étaient tus et résignés pendant quatre ans. Ils avaient applaudi Pétain, il fallait se racheter en applaudissant de Gaulle plus fort que les autres. Dans ces belles manifestations patriotiques, ils rachetaient par quelques cris, par quelques crachats sur les miliciens, des années de résignation.



            Bake Bidea et les Artisans de la paix ont offert leur rachat aux passifs, aux résignés, aux honteux du silence. Leur conscience était un linge sale, ils ont offert le jour de lessive.



            Le chemin de la paix (Bake Bidea) passait par la négation de la terreur d’ETA, par le piétinement de ses victimes. Pas trop cher payé pour effacer la honte.  


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