mardi 11 juin 2019

un jeu dangereux


Un jeu dangereux





Justice transitionnelle. Ce mode de sortie de conflit a été expérimenté en Afrique du Sud à la sortie de l’apartheid, sous la tutelle de Desmond Tutu. Le principe en était le suivant : les auteurs des crimes, tortures, emprisonnement, du régime d’apartheid confessaient leurs forfaits publiquement devant leurs victimes ou leurs familles. La justice transitionnelle ne pouvait se mettre en place que si les auteurs de crimes avouaient leur forfait, demandaient pardon aux victimes ou à leur famille.  Ces séances étaient filmées et diffusée en direct par des chaînes de télévision en Afrique du Sud, pendant des heures et des heures, et regardées par des millions de personnes. Ces séances ont donné lieu à des livres, de nombreux documentaires.



La question controversée était le résultat de ces séances pour les criminels. Allaient-elles remplacer un procès ? Fallait-il maintenir les punitions prévues par la loi ? Les peines pouvaient-elles être réduites par les confessions publiques ? Les confessions valaient elles amnistie ? Questions non résolues. Ce qu’il reste de ces séances, en tout état de cause, c’est que amnistie ne valait pas amnésie, c'est à dire oubli des crimes.



La justice transitionnelle ne peut se comprendre bien évidemment que par des arguments politiques. Nelson Mandela voulait éviter une situation comme celle du Zimbabwe, la fuite » des élites blanches, des cadres, de leur compétence, de leurs investissements. Et cela dans un pays où une minorité blanche a maintenu un système d’apartheid d’une grande brutalité.



On comprend que ça n’a strictement rien à voir avec l’Irlande du Nord ou le Pays Basque. Ces régions ont connu des conflits sévères, des discriminations, mais elles étaient des lieux démocratiques où des terroristes ont voulu imposer leur point de vue contre la société. Ces terroristes veulent à tout prix légitimer leurs actions et les anciens combattants de l’IRA ne veulent pas entendre parler de justice transitionnelle. Il y a des initiatives privées, des rencontres entre terroristes protestants et catholiques, entre victimes et assassins. Mais rien à voir avec l’Afrique du Sud.



De la même manière, les abertzale radicaux ne veulent pas entendre parler de ces séances de confession qui mettraient à jour leurs exactions. Les seuls contacts avec les victimes sont les liesses qui saluent la libération de leurs assassins. On est loin de la justice transitionnelle.



La  première difficulté pour la mise en place d’un tel processus est le refus des terroristes de demander pardon. On les comprend. Demander pardon, c’est reconnaitre la faute. Reconnaître qu’ils se sont trompés. Il arrive qu’un violeur demande pardon à sa victime. Un pédophile aux enfants. Mais au procès de Nuremberg, aucun accusé n’a demandé pardon. De même l’ETA demande pardon de manière sélective. Dans son communiqué de « pardon », elle demande pardon aux victimes « collatérales ». Ceux et celles qu’elle a tué « par erreur ». Selon la formule que Raymond Barre a laissé échapper au lendemain de l’attentat contre la synagogue de la rue des Rosiers : il  y a eu des « victimes innocentes », c'est à dire non juives. Pour la société basque espagnole, la terreur n’avait aucune justification et toutes les victimes de l’ETA étaient innocentes. Quand l’ETA décrivait les gardes civils comme des « chiens », leurs enfants étaient des « fils de chiens » et l’attentat de Saragosse, onze morts dont six enfants, avaient éliminé des cibles légitimes. De même, dans un même mouvement théorique, l’IRA et l’ETA avaient « socialisé la terreur ». C’est à dire élargi le champ des cibles légitimes. Un élu, journaliste, un universitaire, critiques de la terreur, l’entreprise qui allait réparer l’électricité ou la plomberie dans une caserne, la cuisinière qui travaillait pour les soldats britanniques, tous devenaient des cibles légitimes pour lesquelles on ne demande pas pardon.



Pour justifier ce refus, cette violence symbolique, cette inscription de la terreur dans un langage qui la justifie, les patriotes répliquent « le GAL »,  la torture dans les prisons franquistes et même de l’après-franquisme. Il y aurait donc eu des victimes des deux côtés, et la terreur des uns justifie la barbarie des autres. La réplique à ce discours répété ad nauseam, est simple et mérite d’être chaque fois répétée. Aucune force politique au Pays Basque français ne justifie le GAL, ne manifeste pour les prisonniers condamnés du GAL, n’organise de cérémonie pour leur libération, ne les parade sur les estrades, ne les nomme « prisonniers politiques ».



Que les patriotes justifient la terreur utilisée par leurs anciens combattants est dans la nature de leur engagement. Plus curieux est la reprise de leurs éléments de langage par des responsables politiques de partis républicains. Quand  j’entends le quatuor blanchisseur, Vincent Bru, Max Brisson, Michel Veunac, Jean-René Etchegaray, reprendre l’expression « il y a des victimes des deux côtés », mot pour mot le langage EH Baï, j’ajuste mes appareils auditifs. Etaient-ils bien réglés ? Des élus républicains qui mettent sur le même plan une société démocratique qui se défend et les terroristes qui l’agressent ?



            Pour que les blanchisseurs blanchissent, ils doivent élaborer une justification de leur blanchissage. Elle se résume ainsi : si l’on ne blanchit pas les crimes, leurs auteurs, ou leurs enfants, risquent de reprendre les armes et replonger le Pays Basque dans la guerre. Dans le « conflit » comme ils disent.



            En soi, ce raisonnement est monstrueux. Il justifie la terreur de demain en justifiant celle d’hier.  On retrouve ces « justifications » chez tous les blanchisseurs. Max Brisson, Jean-René Etchegaray, Michel Veunac, Vincent Bru. Ils nous disent attention aux futures générations de jeunes qui se radicalisent. Qui risquent de replonger dans la violence.



            En somme, pour déradicaliser les jeunes générations, il faut justifier la terreur de leurs parents. Les élus du Pays Basque français jouent un jeu dangereux.


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