Un jeu dangereux
Justice
transitionnelle. Ce mode de sortie de conflit a été expérimenté en Afrique du
Sud à la sortie de l’apartheid, sous la tutelle de Desmond Tutu. Le principe en
était le suivant : les auteurs des crimes, tortures, emprisonnement, du
régime d’apartheid confessaient leurs forfaits publiquement devant leurs
victimes ou leurs familles. La justice transitionnelle ne pouvait se mettre en
place que si les auteurs de crimes avouaient leur forfait, demandaient pardon
aux victimes ou à leur famille. Ces
séances étaient filmées et diffusée en direct par des chaînes de télévision en
Afrique du Sud, pendant des heures et des heures, et regardées par des millions
de personnes. Ces séances ont donné lieu à des livres, de nombreux
documentaires.
La question
controversée était le résultat de ces séances pour les criminels.
Allaient-elles remplacer un procès ? Fallait-il maintenir les punitions
prévues par la loi ? Les peines pouvaient-elles être réduites par les
confessions publiques ? Les confessions valaient elles amnistie ? Questions
non résolues. Ce qu’il reste de ces séances, en tout état de cause, c’est que
amnistie ne valait pas amnésie, c'est à dire oubli des crimes.
La justice transitionnelle
ne peut se comprendre bien évidemment que par des arguments politiques. Nelson
Mandela voulait éviter une situation comme celle du Zimbabwe, la fuite »
des élites blanches, des cadres, de leur compétence, de leurs investissements. Et
cela dans un pays où une minorité blanche a maintenu un système d’apartheid d’une
grande brutalité.
On comprend
que ça n’a strictement rien à voir avec l’Irlande du Nord ou le Pays Basque.
Ces régions ont connu des conflits sévères, des discriminations, mais elles
étaient des lieux démocratiques où des terroristes ont voulu imposer leur point
de vue contre la société. Ces terroristes veulent à tout prix légitimer leurs
actions et les anciens combattants de l’IRA ne veulent pas entendre parler de
justice transitionnelle. Il y a des initiatives privées, des rencontres entre
terroristes protestants et catholiques, entre victimes et assassins. Mais rien
à voir avec l’Afrique du Sud.
De la même
manière, les abertzale radicaux ne veulent pas entendre parler de ces séances
de confession qui mettraient à jour leurs exactions. Les seuls contacts avec
les victimes sont les liesses qui saluent la libération de leurs assassins. On
est loin de la justice transitionnelle.
La première difficulté pour la mise en place d’un
tel processus est le refus des terroristes de demander pardon. On les comprend.
Demander pardon, c’est reconnaitre la faute. Reconnaître qu’ils se sont
trompés. Il arrive qu’un violeur demande pardon à sa victime. Un pédophile aux
enfants. Mais au procès de Nuremberg, aucun accusé n’a demandé pardon. De même
l’ETA demande pardon de manière sélective. Dans son communiqué de « pardon »,
elle demande pardon aux victimes « collatérales ». Ceux et celles qu’elle
a tué « par erreur ». Selon la formule que Raymond Barre a laissé
échapper au lendemain de l’attentat contre la synagogue de la rue des Rosiers :
il y a eu des « victimes innocentes »,
c'est à dire non juives. Pour la société basque espagnole, la terreur n’avait
aucune justification et toutes les victimes de l’ETA étaient innocentes. Quand
l’ETA décrivait les gardes civils comme des « chiens », leurs enfants
étaient des « fils de chiens » et l’attentat de Saragosse, onze morts
dont six enfants, avaient éliminé des cibles légitimes. De même, dans un même mouvement
théorique, l’IRA et l’ETA avaient « socialisé la terreur ». C’est à
dire élargi le champ des cibles légitimes. Un élu, journaliste, un
universitaire, critiques de la terreur, l’entreprise qui allait réparer l’électricité
ou la plomberie dans une caserne, la cuisinière qui travaillait pour les
soldats britanniques, tous devenaient des cibles légitimes pour lesquelles on
ne demande pas pardon.
Pour justifier
ce refus, cette violence symbolique, cette inscription de la terreur dans un
langage qui la justifie, les patriotes répliquent « le GAL »,
la torture dans les prisons franquistes et même de l’après-franquisme. Il y
aurait donc eu des victimes des deux côtés, et la terreur des uns justifie la
barbarie des autres. La réplique à ce discours répété ad nauseam, est simple et mérite d’être chaque fois répétée. Aucune
force politique au Pays Basque français ne justifie le GAL, ne manifeste pour
les prisonniers condamnés du GAL, n’organise de cérémonie pour leur libération,
ne les parade sur les estrades, ne les nomme « prisonniers politiques ».
Que les
patriotes justifient la terreur utilisée par leurs anciens combattants est dans
la nature de leur engagement. Plus curieux est la reprise de leurs éléments de
langage par des responsables politiques de partis républicains. Quand j’entends le quatuor blanchisseur, Vincent
Bru, Max Brisson, Michel Veunac, Jean-René Etchegaray, reprendre l’expression « il
y a des victimes des deux côtés », mot pour mot le langage EH Baï, j’ajuste
mes appareils auditifs. Etaient-ils bien réglés ? Des élus républicains
qui mettent sur le même plan une société démocratique qui se défend et les
terroristes qui l’agressent ?
Pour
que les blanchisseurs blanchissent, ils doivent élaborer une justification de
leur blanchissage. Elle se résume ainsi : si l’on ne blanchit pas les
crimes, leurs auteurs, ou leurs enfants, risquent de reprendre les armes et
replonger le Pays Basque dans la guerre. Dans le « conflit » comme
ils disent.
En
soi, ce raisonnement est monstrueux. Il justifie la terreur de demain en
justifiant celle d’hier. On retrouve ces
« justifications » chez tous les blanchisseurs. Max Brisson, Jean-René
Etchegaray, Michel Veunac, Vincent Bru. Ils nous disent attention aux futures générations
de jeunes qui se radicalisent. Qui risquent de replonger dans la violence.
En
somme, pour déradicaliser les jeunes générations, il faut justifier la terreur
de leurs parents. Les élus du Pays Basque français jouent un jeu dangereux.
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