Le monde fatigue et moi aussi.
L’âge fatigue. Il n’a pas besoin de maladies ou d’accidents
pour fatiguer. Il lui suffit d’âger. Cette fonction de l’âge est magique. Son
objectif est de fatiguer, et il n’a rien à faire ; aucun effort, aucune
compétence, pour remplir sa fonction. Chacun peut en faire l’expérience. S’il
réussit à interrompre quelque temps la fonction de l’âge, il sera moins fatigué.
Malheureusement, je ne connais personne qui sache où
se situe l’interrupteur de l’âge. L’âge poursuit donc sa fonction sans crainte
sinon sans reproche.
Revenons maintenant au réel. J’âge donc je suis. S’ajoute
à cet âgage quotidien une maladie qui fatigue davantage et non seulement cette
maladie fatigue, mais les soins pour la soigner, provoquent aussi une fatigue
intense. Le résultat est logique. Fatigue de l’âge, plus fatigue de la maladie,
plus fatigue des soins aboutissent à une immense fatigue que j’ai un peu de mal
ici à décrire tant elle épuise les fonctions physiques et intellectuelles.
Or, le hasard et les circonstances se sont unis en une
rencontre exceptionnelle. L’âge fatigue le monde comme il fatigue les gens. Mais
depuis environs deux ou trois mois, le monde est frappé d’une maladie qui le
fatigue davantage que les ravages habituels. Non seulement le monde était déjà
pas mal fatigué par son âge mais il est frappé d’une maladie qui lui abime
toutes ses fonctions habituelles, réduit ses fonctions familières, affaiblit
ses muscles et ses neurones. Comme si ces ravages ne suffisaient pas, les soins
utilisés pour tenter de réduire les dégâts de l’agâge pathologique ont des
effets secondaires qui accentuent la faiblesse accidentelle. Le résultat est
connu de tous : les flux nerveux, les échanges intercontinentaux, la
production des produits de première nécessité, les aires de repos indispensables,
les surfaces qui permettent production de légumes et reproduction des élites se
réduisent et parfois sont complétement fermées. Les marchandises et l’argent ne
circulent plus.
La situation est dramatique. L’âge du monde a pris de
l’avance sur l’âge des gens. Sept milliards d’êtres humaines veulent naître,
apprendre, aimer, s’amuser, vivre enfin, et le monde les en empêche. Tout
le monde est malheureux.
Moi seul suis en harmonie avec le monde tel qu’il est.
Une grande lassitude, les réseaux embrouillés, les portes fermées, une immense
tranquillité. Combien de gens sont en harmonie avec le monde tel qu’il est ?
J’en fais partie. C’est peut-être cela le bonheur.
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