lundi 20 avril 2020

fin de vie fin du monde


Faim de vie, fin de vie, fin du monde



Il faut apprécier à sa juste valeur une conjonction inédite entre une catastrophe planétaire, une maladie généralement considérée comme terminale, une date de naissance qui de toute manière vous situe aux premiers rangs dans ces machines à sous ou en introduisant une dernière pièce de monnaie qui pousse les premières vers la sortie, vous approchez à chaque pièce ajoutée la chute terminale.  D’ailleurs vous remarquerez que les joueurs de  ces machines infernales sont généralement très jeunes.

Cette conjonction vous oblige. Je ne vais pas faire semblant de me lever le matin de bonne humeur, de me coucher le soir en sifflotant. Je veux bien mentir à des connaissances qui ne sont pas de vrais amis, qui sont juste polis, qui croient rattraper une vie terne par des formules de politesse qui ressemblent à des faireparts. Mais aux vrais amis, aux vrais membres de la famille qui attendent de moi un minimum de vérité, je me dois d’être sincère. Je tiens une occasion unique de mixer fin du monde, fin de vie. Ça ne se reproduira pas deux fois et je veux en tirer le maximum. Aux autres, à la question « comment ça va ? », je réponds super bien.

Voyons ce qui vous rattache encore au monde : le sourire de la compagne qui se réveille quand elle entend mes soupirs de douleurs, qui m’accompagne toute la journée assombri parfois par quelques débuts de larmes, le doliprane qui calme la fulgurance, la lamaline qui atténue, les conversations avec les enfants, les neveux, les nièces, le gâteau russe, le verre de vin, Hercule Poirot et le lieutenant Colombo qui résout l’énigme par une intuition simple : comment le meurtrier aurait-il pu s’introduire dans la chambre à coucher s’il n’avait pas emprunté la clé ajourée au valet de chambre qui lui-même était l’amant passionné du principal actionnaire ? Hercule Poirot en revanche est beaucoup plus psychologique. N’ayant plus honte de rien, je reconnais que les dialogues d’une grande débilité entre Zorro et le Sergent Garcia m’arrachent parfois un sourire. Ma compagne qui respecte ma culture ne supporte pas ce lien ténu avec ce qu’elle considère à juste titre comme le degré zéro de l’intelligence humaine et l’un de mes jeux favoris est lui demander un médicament dans une pharmacie suffisamment éloignée pour que je puisse voir en entier un épisode de ce feuilleton. Quand elle est là, sa réprobation est si forte qu’elle finit par modifier le numéro de la chaîne.

Quelques pages d’un livre inédit dont malheureusement il sera difficile avec de discuter avec des amis car les amis ont disparu. Ils sont morts, ou malades, ou ne sont plus des amis ou peut-être sont-ils restés des amis à condition qu’on ne discute jamais plus d’une livre important, genre La fille de l’Espagnole  qui décrit la société vénézuélienne depuis que Hugo Chavez a pris le pouvoir et comment poursuivre la discussion avec quelqu’un qui reste persuadé que c’est l’impérialisme étatsunien qui a plongé Caracas dans le chaos.

Le verre de vin, le regard encore, le coronavirus qui tue dans l’œuf une manifestation de solidarité pour le coroneta, des tueurs qui tuent des complices d’assassins, sont des plaisirs simples et toujours appréciés.

Je vous dois la vérité. Dans la situation actuelle, je n’arrive plus à capter cette étincelle qui allume quelques sourires. C’est trop me demander. J’appuie sur un bouton de cet instrument magique dont le nom m’échappe si souvent, ou télécommande, et aussitôt, le coronavirus pollue l’atmosphère. Je commande la fermeture et les douleurs m’envahissent, troublent le plaisir d’écrire. Assis, j’ai mal, debout je souffre. Et en plus vous voulez que je vous fasse sourire par quelques formules magiques. Ne m’en demandez pas trop. L’essentiel de mon temps consiste à fuir le coronavirus par des moyens informatiques, comme les jeux de solitaire, ou à me tortiller sur le fauteuil ou dans le lit pour chercher une position où j’aurais moins mal. Hier j’ai fait le tour du pâté de maison au bras de ma compagne, j’ai vu la mer, j’avais mal à la hanche, mais le plaisir des vagues surmontait la douleur. Telle est ma vie. J’ai terminé la fille de l’espagnole, et je suis en train de poursuivre la lecture de Roderick Random, par Tobias Smollet. Il me faut trouver des lectures dont le plaisir l’emporte sur la douleur. Rares sont celles-là, mais elles existent.
Je vous demande pardon d’avoir contribué aujourd’hui à plomber davantage une atmosphère déjà trop lourde.

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