Vint l’époque
où dans l’histoire de l’humanité, les hommes produisirent plus que leurs
besoins. C’est la première phrase de tout manuel d’économie politique. Que faire
du surplus ? Ton lopin de terre permet la récolte de cinquante kilos de
pomme de terre. Toi et ta famille en consomment quarante. Quand tu en
produisais quarante, la demande et l’offre s’équilibraient et s’il y avait dans
les environs une source d’eau potable, une caverne pour vous protéger du
mauvais temps, une colonie de visons pour te tenir au chaud quand tu quittais
la caverne et faire le beau le jour de la fête du feu, la vie ressemblait
tellement à un paradis sur terre que personne n’imaginait que le paradis pût se
trouver autre part que sur terre. Le paradis, c’était la terre. L’enfer n’existait
pas. Bien sûr, il arrivait que la Berthe tournât autour du compagnon de Marthe.
Mais ce genre de situations irritantes était nécessaire pour que les ancêtres
racontent des histoires au coin du feu. « Savez-vous mes enfants, pourquoi
Berthe n’aimait pas Marthe ? ».
Vous
connaissez la suite. Des sociétés philanthropiques distribuaient le surplus à
ceux qui étaient hors d’état de cultiver : les trop jeunes, les trop
vieux, les paresseux et les poètes. D’autres utilisèrent leur force pour s’approprier
le surplus au nom du principe « la propriété, c’est le vol ». Pour protéger
leur bien, les groupes de producteurs organisèrent des brigades spéciales. Le
tout se déroula selon une logique implacable jusqu’au débarquement du coronavirus.
Pourquoi le
coronavirus et pas la pilule du bonheur ? La nature dans sa grande
diversité peut tout se permettre et aurait pu créer une molécule anéantissant
les vices et les méchancetés, les égoïsmes et les jalousies qui ont poussé sur
le surplus de dix kilos dont je parlais plus haut. Non. Il a fallu qu’elle crée
un virus qui empêche les hommes de respirer et donc les condamne à mort. C’est
dégueulasse.
La faute à qui ?
La faute à Jésus et à tous les prophètes qui l’ont précédé et suivi. Pour
fonder une religion durable, Dieu, son père, a envoyé son fils sur terre subir
d’atroces souffrances. Les premiers chrétiens furent massacrés, torturés,
envoyés aux galères, mangés par les lions sauf une ou deux exceptions. Jésus
lui-même était capable de guérir les malades et de multiplier les surplus de
production mais il n’a pas empêché le chemin de croix, les coups de fouets, les
clous pour le faire tenir droit sur la croix. C’est au prix de ces tortures que
la religion chrétienne put prétendre au statut d’une des plus importantes
religions du monde. Le modèle était désormais inscrit dans la chair et l’esprit
des hommes. Pas de religion sans souffrance. Quand on a passé une bonne soirée
avec des amis, un apéro décoiffant, un repas goûteux, puis une main habile
lance une liste de chansons à danser, on lance des plaisanteries, on flirte, on
se frotte et d’où avez-vous jamais sortir d’une telle soirée sans défaut le
début du commencement d’une nouvelle religion ?
Chrétiens,
musulmans, protestants, bouddhistes, juifs, communistes, tous sans exception
durent subir leur part de souffrances pour être acceptés comme religion
universelle. Même aujourd’hui, alors qu’elles sont installées, reconnues,
officielles, il leur faut de temps en temps des piqures de rappel pour montrer
qu’elles sont toujours capables de souffrir.
Les choses
apparaissent ainsi clairement. Le coronavirus est le début d’une nouvelle
religion. Une religion universelle, toute l’humanité est frappée. Dans les
journaux, les radios, les réseaux sociaux, les coins de rue et les
ronds-points, des prophètes en expliquent les théories, les préceptes, les
morales, les règles de vie. Elle a déjà transformée nos lieux d’habitation en
lieux de culte. Chaque maison devient une cellule de monastère, chaque
habitation une église d’où les fidèles ont fait le vœu de sortir le moins
possible. Les lieux de confinement, lieux d’exception dans la civilisation d’antan,
se généralisent. On regarde comme hérétiques ceux qui les quittent sans raison.
Certains lieux sont des surfaces de double confinement : les monastères et
les hôpitaux. Bethleem ou Belharra, Hôtel Dieu ou Abbaye de Lisieux, enferment
leurs pensionnaires en exigeant vœu d’hygiène et de chasteté.
Personne ne
sait encore qui émergera comme le gourou en chef de ce foisonnement de
prophéties et de certitudes. Une seule chose est claire. Nous vivons une rupture
historique.
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