lundi 13 avril 2020

une nouvelle ère


Vint l’époque où dans l’histoire de l’humanité, les hommes produisirent plus que leurs besoins. C’est la première phrase de tout manuel d’économie politique. Que faire du surplus ? Ton lopin de terre permet la récolte de cinquante kilos de pomme de terre. Toi et ta famille en consomment quarante. Quand tu en produisais quarante, la demande et l’offre s’équilibraient et s’il y avait dans les environs une source d’eau potable, une caverne pour vous protéger du mauvais temps, une colonie de visons pour te tenir au chaud quand tu quittais la caverne et faire le beau le jour de la fête du feu, la vie ressemblait tellement à un paradis sur terre que personne n’imaginait que le paradis pût se trouver autre part que sur terre. Le paradis, c’était la terre. L’enfer n’existait pas. Bien sûr, il arrivait que la Berthe tournât autour du compagnon de Marthe. Mais ce genre de situations irritantes était nécessaire pour que les ancêtres racontent des histoires au coin du feu. « Savez-vous mes enfants, pourquoi Berthe n’aimait pas  Marthe ? ».  



Vous connaissez la suite. Des sociétés philanthropiques distribuaient le surplus à ceux qui étaient hors d’état de cultiver : les trop jeunes, les trop vieux, les paresseux et les poètes. D’autres utilisèrent leur force pour s’approprier le surplus au nom du principe « la propriété, c’est le vol ». Pour protéger leur bien, les groupes de producteurs organisèrent des brigades spéciales. Le tout se déroula selon une logique implacable jusqu’au débarquement du coronavirus.



Pourquoi le coronavirus et pas la pilule du bonheur ? La nature dans sa grande diversité peut tout se permettre et aurait pu créer une molécule anéantissant les vices et les méchancetés, les égoïsmes et les jalousies qui ont poussé sur le surplus de dix kilos dont je parlais plus haut. Non. Il a fallu qu’elle crée un virus qui empêche les hommes de respirer et donc les condamne à mort. C’est dégueulasse.



La faute à qui ? La faute à Jésus et à tous les prophètes qui l’ont précédé et suivi. Pour fonder une religion durable, Dieu, son père, a envoyé son fils sur terre subir d’atroces souffrances. Les premiers chrétiens furent massacrés, torturés, envoyés aux galères, mangés par les lions sauf une ou deux exceptions. Jésus lui-même était capable de guérir les malades et de multiplier les surplus de production mais il n’a pas empêché le chemin de croix, les coups de fouets, les clous pour le faire tenir droit sur la croix. C’est au prix de ces tortures que la religion chrétienne put prétendre au statut d’une des plus importantes religions du monde. Le modèle était désormais inscrit dans la chair et l’esprit des hommes. Pas de religion sans souffrance. Quand on a passé une bonne soirée avec des amis, un apéro décoiffant, un repas goûteux, puis une main habile lance une liste de chansons à danser, on lance des plaisanteries, on flirte, on se frotte et d’où avez-vous jamais sortir d’une telle soirée sans défaut le début du commencement d’une nouvelle religion ?



Chrétiens, musulmans, protestants, bouddhistes, juifs, communistes, tous sans exception durent subir leur part de souffrances pour être acceptés comme religion universelle. Même aujourd’hui, alors qu’elles sont installées, reconnues, officielles, il leur faut de temps en temps des piqures de rappel pour montrer qu’elles sont toujours capables de souffrir.



Les choses apparaissent ainsi clairement. Le coronavirus est le début d’une nouvelle religion. Une religion universelle, toute l’humanité est frappée. Dans les journaux, les radios, les réseaux sociaux, les coins de rue et les ronds-points, des prophètes en expliquent les théories, les préceptes, les morales, les règles de vie. Elle a déjà transformée nos lieux d’habitation en lieux de culte. Chaque maison devient une cellule de monastère, chaque habitation une église d’où les fidèles ont fait le vœu de sortir le moins possible. Les lieux de confinement, lieux d’exception dans la civilisation d’antan, se généralisent. On regarde comme hérétiques ceux qui les quittent sans raison. Certains lieux sont des surfaces de double confinement : les monastères et les hôpitaux. Bethleem ou Belharra, Hôtel Dieu ou Abbaye de Lisieux, enferment leurs pensionnaires en exigeant vœu d’hygiène et de chasteté.



Personne ne sait encore qui émergera comme le gourou en chef de ce foisonnement de prophéties et de certitudes. Une seule chose est claire. Nous vivons une rupture historique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire