Chers amis, je suis
malade. Très malade. Je ne vois pas pourquoi je le cacherais. Il faut bien
vivre d’une maladie quelconque. Cette maladie ne me donne aucun droit. Sauf de
continuer à raconter des histoires. Elle n’est pas très longue, j’espère que
vous la lirez jusqu’au bout.
Voici donc une histoire inventée. Quand
j’étais jeune, très jeune, j’étais malade, gravement atteint, d’une autre
maladie : le nationalisme. Je voulais à tout prix l’indépendance de mon
peuple basque, malheureusement ce souhait était minoritaire. J’ai donc entrepris
de convaincre mon peuple dans l’erreur à coups de bombes, de racket, d’assassinat
que mon option était la bonne. C’était la lutte armée. La lutte armée s’est menée
entre les clients d’un grand magasin, eux ils avaient leur caddy et moi des
bombes. C’est ce qu’on appelle une lutte armée. Ensuite j’ai continué la lutte
armée contre une caserne de gardes civiles, onze morts dont cinq enfants. Tous
les enfants étaient armés jusqu’aux dents. J’ai poursuivi ensuite la lutte
armée contre une mère de famille, sur une place de marché. Elle était armée d’un
cabas et de son enfant. Plus tard, le maire de ma ville affirmait avec tact et
élégance qu’il «y avait des victimes des deux côtés ».
La colère montait contre mon groupe
et nous nous sommes résignés. Il fallait renoncer à cette lutte armée que mon
peuple condamnait de plus en plus fort sous le nom de terrorisme. Le même nom accolé
aux djihadistes. Intenable. Alors battus, défaits, nous avons cessé la « lutte
armée » et pour tenter de sauvegarder quelques gouttes du sang investi,
nous nous sommes adressés aux élus du Pays Basque français. Voilà. Vous
reprenez notre récit, lutte armée et victimes des deux côtés, et en échange
nous cessons le feu, nous vous remettons le reste des explosifs qui ont tué les
huit cents « victimes de l’autre côté » et vous acceptez l’idée que
personne n’a gagné, pas de vainqueurs, pas de vaincus. La « lutte armée »
a fait si peu de morts chez vous. Max Brisson, Frédérique Espagnac, Jean-René
Etchegaray, Vincent Bru, Michel Veunac, ont tous écrit « victimes des deux
côtés » et « lutte armée » sur un morceau de papier, l’ont roulé
en boule et l’ont avalé. Ils attendent quinze minutes, et s’il n’y a pas d’indigestion,
ils signent.
Pour des raisons qui s’inscrivent
dans une histoire mondiale de la lâcheté en politique, la majorité des élus a
accepté de reprendre le récit, ou n’a rien dit. Chacun jugera ce qui est le
pire.
Je m’inscris dans cette histoire
parce que j’ai été arrêté, condamné à une longue peine d’emprisonnement. À force
de vivre, je suis tombé très malade. Nos amis se sont réunis et ont demandé ma
libération parce que j’étais très malade. Ils disent raisons humanitaire,
règles de droit.
Et puis, je me suis demandé : en
quoi d’être très malade me donne plus de droit qu’un assassin en bonne santé. Si
vous assassinez huit cents personnes parce que vous étiez déjà fort malade, ça
vous donne des droits supplémentaires d’être soigné et même libéré ? Je me suis dit que je pourrais
améliorer ma situation en envoyant une lettre aux survivants de mes attentats,
en leur demandant pardon, en leur déclarant que mon action fut folie meurtrière
et que c’est d’abord à ces survivants qu’il faut demander leur avis sur ma libération
anticipée.
Ceux qui reprennent
nos mots de sang, « lutte armée » et « victimes des deux côtés, prolongent
dans un grand sourire notre incarcération. Ils s’en fichent, ils vivent en
liberté.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire