jeudi 9 avril 2020

rouge blanc


Chers amis, je suis malade. Très malade. Je ne vois pas pourquoi je le cacherais. Il faut bien vivre d’une maladie quelconque. Cette maladie ne me donne aucun droit. Sauf de continuer à raconter des histoires. Elle n’est pas très longue, j’espère que vous la lirez jusqu’au bout.



           Voici donc une histoire inventée. Quand j’étais jeune, très jeune, j’étais malade, gravement atteint, d’une autre maladie : le nationalisme. Je voulais à tout prix l’indépendance de mon peuple basque, malheureusement ce souhait était minoritaire. J’ai donc entrepris de convaincre mon peuple dans l’erreur à coups de bombes, de racket, d’assassinat que mon option était la bonne. C’était la lutte armée. La lutte armée s’est menée entre les clients d’un grand magasin, eux ils avaient leur caddy et moi des bombes. C’est ce qu’on appelle une lutte armée. Ensuite j’ai continué la lutte armée contre une caserne de gardes civiles, onze morts dont cinq enfants. Tous les enfants étaient armés jusqu’aux dents. J’ai poursuivi ensuite la lutte armée contre une mère de famille, sur une place de marché. Elle était armée d’un cabas et de son enfant. Plus tard, le maire de ma ville affirmait avec tact et élégance qu’il «y avait des victimes des deux côtés ».



           La colère montait contre mon groupe et nous nous sommes résignés. Il fallait renoncer à cette lutte armée que mon peuple condamnait de plus en plus fort sous le nom de terrorisme. Le même nom accolé aux djihadistes. Intenable. Alors battus, défaits, nous avons cessé la « lutte armée » et pour tenter de sauvegarder quelques gouttes du sang investi, nous nous sommes adressés aux élus du Pays Basque français. Voilà. Vous reprenez notre récit, lutte armée et victimes des deux côtés, et en échange nous cessons le feu, nous vous remettons le reste des explosifs qui ont tué les huit cents « victimes de l’autre côté » et vous acceptez l’idée que personne n’a gagné, pas de vainqueurs, pas de vaincus. La « lutte armée » a fait si peu de morts chez vous. Max Brisson, Frédérique Espagnac, Jean-René Etchegaray, Vincent Bru, Michel Veunac, ont tous écrit « victimes des deux côtés » et « lutte armée » sur un morceau de papier, l’ont roulé en boule et l’ont avalé. Ils attendent quinze minutes, et s’il n’y a pas d’indigestion, ils signent.



           Pour des raisons qui s’inscrivent dans une histoire mondiale de la lâcheté en politique, la majorité des élus a accepté de reprendre le récit, ou n’a rien dit. Chacun jugera ce qui est le pire.



           Je m’inscris dans cette histoire parce que j’ai été arrêté, condamné à une longue peine d’emprisonnement. À force de vivre, je suis tombé très malade. Nos amis se sont réunis et ont demandé ma libération parce que j’étais très malade. Ils disent raisons humanitaire, règles de droit.



           Et puis, je me suis demandé : en quoi d’être très malade me donne plus de droit qu’un assassin en bonne santé. Si vous assassinez huit cents personnes parce que vous étiez déjà fort malade, ça vous donne des droits supplémentaires d’être soigné et même  libéré ? Je me suis dit que je pourrais améliorer ma situation en envoyant une lettre aux survivants de mes attentats, en leur demandant pardon, en leur déclarant que mon action fut folie meurtrière et que c’est d’abord à ces survivants qu’il faut demander leur avis sur ma libération anticipée.



Ceux qui reprennent nos mots de sang, « lutte armée » et « victimes des deux côtés, prolongent dans un grand sourire notre incarcération. Ils s’en fichent, ils vivent en liberté.

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