samedi 25 avril 2020

du Père Lachaise à Château Rouge

J’aimerais tant rassurer mes amis, leur dire que le chemin vers la mort est bordé de lilas, de nouilles et de noisetiers. Sauf le bref chemin d’un accident, d’un choc létal, ou d’un suicide Chanel, la plupart des routes qui mènent au cimetière comportent des ronces et des cailloux tranchants. J’aimerais dire à ma famille, à mes amis qu’ils ne devraient pas se faire trop de soucis. Un jour il est là un jour il n’est plus là. Il faudra jeter à la poubelle les mouchoirs qui ne doivent servir qu’une seule fois par cercueil.

Tu le sais bien puisque tu as perdu des proches, des amis et jamais au grand jamais tu n’as vraiment partagé leur descente aux enfers. C’est encore pire depuis le coronavirus. Il banalise toutes les autres maladies. Toutes les autres morts. Sir Edmund Hillary se fracassant dans une crevasse serait relayé en page huit du Sun, la mort de Johnny Hallyday en page nécro de Libération. Le coronavirus banalise un cancer du poumon au point où si vous vous présentez aux urgences avec de la fièvre et des difficultés respiratoires, vous passez directement aux premiers rangs avant la détection, mais si vos difficultés respiratoires et votre fièvre sont tout aussi dramatiques mais ne sont pas coronaresques, vous serez repoussé au bout de la file.

Inutile de se plaindre. Le temps où il était glorieux de mourir sur une barricade n’est pas lointain même s’il reste encore Régis Debray pour célébrer Gavroche. Chaque période se fabrique sa hiérarchie de faucheuse.

Arrêtons. Nous n’allons pas nous rendre intéressants parce que la mort approche. Si tel est le critère, montrez-moi quelqu’un qui n’est pas intéressant. Non. Si vous voulez à tout prix vous rendre intéressant, effacez la répétition, la banalité, les bons sentiments, l’amour fou, l’amitié sans faille, les aventures collectives. Que reste-t-il de nos amours, brouillards épais, rampe de métro lustrée comme le sexe de Victor Noir par trois générations de ma famille. Voilà qui est intéressant. Il faut chercher bien sûr, éliminer. Mais comparer la patine de la rampe du métro Château Rouge au lustre du sexe de Victor Noir, voilà qui peut retenir l’attention. S’il y avait une pancarte sur le gisant de Victor Noir expliquant que le cuivre de la sculpture provient d’une rampe de métro, les gestes considérés comme déplacés au Père Lachaise se réduiraient comme neige au printemps alors qu’une notice explicative en haut de la rampe de Château Rouge rappellerant que le cuivre lumineux provenait du sexe sculpté de Victor Noir, ralentirait considérablement la descente jusqu'au quai.

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