Dans un monde
normal, les évènements se multiplient. Grèves des trains, arthrose, nausées, un
film de bonne réputation qui se joue au cinéma à portée de marche. La boîte informatique qui explose, l’aîné qui
ramène une moyenne de huit sur vingt, la compagne qui vous prend dans un coin,
j’ai quelque chose à te dire, j’ai rencontré quelqu’un avec qui je veux refaire
ma vie, la personne que vous poursuivez de vos assiduités depuis des années qui
vous déclare d’accord, essayons pour voir. Événements joyeux ou dramatiques. Et puis le confinement. Reprenez la liste
imaginaire ci-dessus à l’âge des cavernes. Au néolithique, au paléolithique, au
Moyen Âge, à la Renaissance, pendant la Guerre de Cent ans, pendant la révolte
des paysans, pendant les Trente Glorieuses. Vous mélangez, vous broyez, vous
mixez, vous arrosez le jus obtenu avec le confinement, le confinement comme
vinaigrette, comme assaisonnement, comme les quatre saisons de Vivaldi et la symphonie
du Nouveau monde de Dvorak, plus la Marseillaise
et l’Internationale au dessert.
Je vous le dis
franchement, il, y aurait de quoi perdre la tête. Or voici que nous vivons une
période de l’histoire de l’humanité où un masque est nécessaire pour acheter le
quotidien, pour apprendre que quatre fois quatre égale seize, que les baisers
fougueux ne sont plus interdits par l’inquisition ou par la charia, mais par un
bout de tissu. Les églises sont vides et les hôpitaux pleins. Des prophètes sans
vision, sans culture, quasiment analphabètes, sont persuadés qu’on peut guérir
les maladies les plus graves par la lecture d’A la recherche du temps perdu, Les
voyages de Gulliver, Gargantua et
Pantagruel.
Or,
bizarrement, l’humanité continue de vivre comme si tout était normal. Un masque
pour une baguette de pain. Si vous vous préparez à braquer une banque, il faut
remplir un formulaire indiquant l’urgence de l’action (besoin d’argent),
l’heure de l’action (pendant les heures d’ouverture), s’arranger avec les
autres braqueurs de banque pour ne pas se retrouver plus de deux dans le hall,
porter un masque et nettoyer chaque billet de banquet avec un liquide
désinfectant, ne pas oublier d’apporter votre propre stylo pour signer un reçu.
Pendant que
les librairies étaient fermées, vous lisiez avec une liseuse. Pour acheter de
nouveaux livres, il faut donner le numéro de votre carte bancaire. Vous perdez
votre carte bancaire. Après trois semaines d’attente, vous recevez notre
nouvelle carte bancaire. Pour acheter de nouveaux livres sur votre liseuse, il
faut donner le numéro de la nouvelle carte. Mais on vous demande alors le code
d’accès et l’identifiant pour entrer le nouveau numéro. Vous passez des heures
et des heures à chercher un nouveau code et un nouvel identifiant alors que
pourriez lire pendant tout de temps perdu la recherche de ce temps éponyme. L’informaticien
qui pourrait me dépanner est coincé à la Guadeloupe, le technicien me transfère
de service en service et déjà la nuit tombe.
Jamais, au
grand jamais, je n’aurais cru quand je cueillais des mûres et des
noisettes dans les chemins creux, jamais je n’aurais cru me trouver dans cette
situation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire