mardi 5 mai 2020

mardi 5 mai


Ma vie est vide, je la plains, ma vie est pleine, je la vide.





            Quelle différence entre une vie confinée et une vie sans coronavirus ? Je ne peux pas répondre pour tous ceux que je connais. Mes enfants poursuivent leur travail de peintre, de vidéaste, de graphiste. Mes petits-enfants créent des films dans des écoles de cinéma et se préparent à des études de droit. Ma compagne, conseillère municipale et responsable d’un lieu d’accueil pour personnes sans abri et sans revenu, cherche et trouve des lieux de protection pour les galériens. Les médecins me soignent, les infirmiers me pansent, les brancardiers me promènent de cliniques en hôpitaux, une psychologue m’assure que ça en vaut la peine, à moi tout seul, je donne du travail à des dizaines de soignants.



            Je porte un masque, je me place dans la queue devant la boulangerie en respectant la distance recommandée.  Ensuite, je vais chez mon marchand de journaux et la grande différence est que je ne peux pas lire les articles répétitifs à la terrasse d’un café car il est fermé, peut-être va-t-il ouvrir vers la fin du mois  de mai. Je lirai sur ma terrasse sans voir les passants qui passent et c’est dans cette période de pénurie de passants qu’on se rend compte à quel point les passants sont importants. Je rentre chez moi et j’enlève mon masque pour lire les journaux. Je dis bonjour de loin.



            Naturellement, il y a le téléphone, whatsap et skype, mais c’est un peu compliqué de raconter une vie rabougrie. Comme décrire une course de voiliers quand le vent s’est figé. La maladie bien sûr est source inépuisable de conversations, car il faut chaque jour conter les douleurs. Parfois, mes interlocuteurs ont l’impression que j’ai été contaminé par le coronavirus tant les ambulanciers, les infirmiers et les kinés franchissent le seuil de ma porte. Je les détrompe. Il n’y a pas que le coronavirus dans la vie.



            Ensuite la sieste, une causerie à plusieurs avec skype et on se rend compte que le plus important dans une conversation ce ne sont pas les paroles, mais les yeux, les formes, les odeurs, les bruits des pieds. L’idéal serait peut-être de filmer cette causerie en supprimant le son et se rendre compte que l’important est le brouhaha, les couleurs, le cuir ciré, les huissiers qui viennent porter des papiers, mais de moins en moins puisque désormais les SMS suppriment la fonction.



            Regardez les images collectées par les caméras des grands congrès des partis communistes chinois, ou réunions au Kremlin. On n’a nul besoin de comprendre ce que disent les délégués. Ils se lèvent, ils applaudissent, ils se rassoient, puis le grand timonier prend la parole et cette parole est inutile. Donald Trump pointe du doigt une journaliste qui a posé une question inaudible, supprimez le son, il reste ce qui est important, le doigt de Trump, la journaliste qui repose la question. D’une certaine manière, il est possible de décrire des grandes assemblées politiques et parlementaires comme si le coronavirus avait imposé un masque virtuel aux discours et aux déclarations. D’ailleurs, si les représentants ou conseillers disent vraiment quelque chose, ils se retrouvent rapidement en salle de réanimation, entubés, entourés par des dizaines de blouses blanches. Un journaliste s’est ainsi retrouvé découpé en mille morceaux dans un ascenseur. Savez-vous les mots qu’il a prononcés ? Non. Mais tout le monde sait qu’il a été dépecé.  

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