Ma vie est vide, je la plains, ma vie
est pleine, je la vide.
Quelle
différence entre une vie confinée et une vie sans coronavirus ? Je ne peux
pas répondre pour tous ceux que je connais. Mes enfants poursuivent leur
travail de peintre, de vidéaste, de graphiste. Mes petits-enfants créent des
films dans des écoles de cinéma et se préparent à des études de droit. Ma
compagne, conseillère municipale et responsable d’un lieu d’accueil pour
personnes sans abri et sans revenu, cherche et trouve des lieux de protection
pour les galériens. Les médecins me soignent, les infirmiers me pansent, les
brancardiers me promènent de cliniques en hôpitaux, une psychologue m’assure
que ça en vaut la peine, à moi tout seul, je donne du travail à des dizaines de
soignants.
Je porte un
masque, je me place dans la queue devant la boulangerie en respectant la
distance recommandée. Ensuite, je vais
chez mon marchand de journaux et la grande différence est que je ne peux pas
lire les articles répétitifs à la terrasse d’un café car il est fermé, peut-être
va-t-il ouvrir vers la fin du mois de
mai. Je lirai sur ma terrasse sans voir les passants qui passent et c’est dans
cette période de pénurie de passants qu’on se rend compte à quel point les
passants sont importants. Je rentre chez moi et j’enlève mon masque pour lire
les journaux. Je dis bonjour de loin.
Naturellement,
il y a le téléphone, whatsap et skype, mais c’est un peu compliqué de raconter
une vie rabougrie. Comme décrire une course de voiliers quand le vent s’est
figé. La maladie bien sûr est source inépuisable de conversations, car il faut
chaque jour conter les douleurs. Parfois, mes interlocuteurs ont l’impression
que j’ai été contaminé par le coronavirus tant les ambulanciers, les infirmiers
et les kinés franchissent le seuil de ma porte. Je les détrompe. Il n’y a pas
que le coronavirus dans la vie.
Ensuite la
sieste, une causerie à plusieurs avec skype et on se rend compte que le plus
important dans une conversation ce ne sont pas les paroles, mais les yeux, les
formes, les odeurs, les bruits des pieds. L’idéal serait peut-être de filmer
cette causerie en supprimant le son et se rendre compte que l’important est le
brouhaha, les couleurs, le cuir ciré, les huissiers qui viennent porter des papiers,
mais de moins en moins puisque désormais les SMS suppriment la fonction.
Regardez les
images collectées par les caméras des grands congrès des partis communistes
chinois, ou réunions au Kremlin. On n’a nul besoin de comprendre ce que disent
les délégués. Ils se lèvent, ils applaudissent, ils se rassoient, puis le grand
timonier prend la parole et cette parole est inutile. Donald Trump pointe du
doigt une journaliste qui a posé une question inaudible, supprimez le son, il
reste ce qui est important, le doigt de Trump, la journaliste qui repose la question.
D’une certaine manière, il est possible de décrire des grandes assemblées
politiques et parlementaires comme si le coronavirus avait imposé un masque
virtuel aux discours et aux déclarations. D’ailleurs, si les représentants ou
conseillers disent vraiment quelque chose, ils se retrouvent rapidement en
salle de réanimation, entubés, entourés par des dizaines de blouses blanches. Un
journaliste s’est ainsi retrouvé découpé en mille morceaux dans un ascenseur. Savez-vous
les mots qu’il a prononcés ? Non. Mais tout le monde sait qu’il a été dépecé.
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