samedi 16 mai 2020

sables mouvants


Ma vie publique m’attire plus que ma vie privée. Quand se présente le choix entre la déclamation sur une estrade d’un poème engagé, sur Paris soi-même libéré, et un rendez-vous galant avec une jeune camarade de classe, j’ai toujours choisi Paris soi-même libéré dans la salle du théâtre municipal devant les élèves du lycée tous réunis, plus les élus, plus la famille. Choix s’imposant d’autant plus que la déclamation de poésies patriotiques dans les années de la libération attirait les jeunes filles comme la flamme d’une bougie les papillons de nuit. J’écrivais des poèmes dans mon cahier d’écolier mais aucun n’a provoqué des rencontres amoureuses. Il parait que des poètes se jettent sur leur plume en attendant le son du timbre à la porte d’entrée. Le taptap des talons désirés sur les pavés du jardin résonnait dans ma poitrine, mais les pages écrites finissaient dans la corbeille à papier. Il est peu probable que la recherche de l’âme sœur sculpte des chefs-d’œuvre.



            Le résultat fut un désastre. Mes recherches de liaisons amoureuses avec une âme sœur se distinguaient mal des pulsions publiques. Elles étaient guidées par des  émotions d’une grande banalité. Pour un jeune révolutionnaire, la beauté d’une star allongée sur le capot d’une Cadillac était la pire des aliénations et pourtant ne me laissait jamais indifférent.



Peu importe où vous mène le radeau,  l’essentiel du rafting est la somme des émotions que vous procurent les remous, les chutes et les cascades. Certainement pas l’aboutissement, une petite plage sans intérêt où les rafteurs déposent leur sac sans se mouiller les pieds.



            Actuellement, ma vie privée est bordée par un confinement en voie de déconfinement, par des soins médicaux et une atmosphère affective d’une douceur matelassée. Mais les excitations publiques s’enfoncent dans les marais mouvants. Il suffit de bouger un peu pour que disparaissent les grandes questions habituelles. Pour survivre, suivez les conseils de ceux qui vivent dans des régions à lises : débarrassez-vous de tous les poids inutiles, sac à dos, chaussures, mettez-vous sur le dos sans vous débattre, rapprochez-vous de la zone solide par petits mouvements. Oubliez les grandes solutions, révolutions, alliances contre nature, réformes et état-providence. Si vous rencontrez un autre promeneur, appelez-le à voix douce, ne donnez pas de signes de panique. Promettez-lui un repas au restaurant s’il part chercher une corde assez longue pour vous atteindre. Si la personne est faible, demandez-lui d’attacher la corde à un arbre ou à une souche d’arbre, ce qui vous permettra de tous tirer tout doucement hors de la lise. Si vous entendez un avion, n’agitez pas les bras pour attirer l’attention du pilote, il  ne vous verra pas et les mouvements des bras vous enfonceront davantage.

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