On se force parfois pour répondre à une demande régulière. Parfois,
on n’arrive pas à trouver l’énergie nécessaire pour trouver les mots et à les
frapper sur l’écran. Parfois on se
demande, parfois on ne se demande pas. Au début on ne se pose pas de question. Tu
trouves un coin de buffet qui permet de se tenir debout sans te demander
pourquoi se tenir debout. Puis tu lâches ce coin de buffet et tu tiens debout
sans aide de ce coin de buffet. Et tu avances d’un pas, puis d’un autre et les
cris d’admiration de ceux qui constituent ta famille te procurent un plaisir
inexplicable qui te pousse à recommencer, à mettre un pied devant l’autre. Ensuite
pour moissonner d’autres cris d’admiration, tu dessines une maison, tu récites
un poème, tu te retrouves premier dans la course, le temps passe, tu regardes
les filles et rien d’autre n’a plus d’importance que le regard qu’elle te rend
à ton regard puis tu convoles et tu as des enfants qui entendront à leur tour les
applaudissements s’ils avancent sans s’appuyer sur le coin du buffet. Puis on
se lève pour exercer un métier, ensuite il est possible de poursuivre ce métier
même après la retraite. Il y a des enterrements, des veillées mortuaires, des
ouvertures de bal avec la mariée, des adultères, des engagements, des amours.
Vivre, c’est supporter avec patience,
parfois avec plaisir, l’intervalle de temps qui sépare tous ces événements
importants. Les préparer, les supporter, les décorer, les entourer de conseils
et de souvenirs et lorsqu’ils ont eu lieu, se les raconter sans fin, tout en
préparant d’autres événements.
Ensuite sauf exception, la biologie, les
maladies, les règles sociales, réduisent le champ des événements possibles et
tu attends plus l’absence d’événements que leur présence. Les enfants ont grandi,
la famille s’est disloqué, d’autres enfants naissent on te pose moins de questions.
Si tu as la chance de vivre une vie à deux, saisis-la de toutes tes forces,
serre-la dans tes bras car rien ne la remplace. D’autres événements peuvent se
produire, heureux ou malheureux mais cette vie à deux, bois-la goulûment.
Sans confinement, sans virus, il y a
toujours un événement qui se prépare, qui a lieu, qui a eu lieu, qui s’annonce,
qui se prépare. Avec cette saleté de merde, ce corona virus, les événements ont
disparu. Il reste bien entendu ceux qui ont déjà eu lieu des photos, des
livres, des films les racontent. Mais pour demain, pour après demain, quels
événements ? Un concert annulé, une réunion de famille interdite, un
meeting agité fermé, un mariage reporté, un communiqué silencieux. Les
conversations se tarissent, car une conversation est toujours un commentaire sur
un événement qui a eu lieu ou qui va avoir lieu. Supprimez les événements et
les conversations se taisent.
La rentrée des classes pourrait être un
événement considérable, le maître, les copains, elle devient un terrain de jeu
pour éviter le virus. Le rendez-vous à la terrasse d’un café est un défilé de
mode pour masques. Partager le titre du journal à plus d’un mètre de distance
est un exercice d’optique. Faut-il se résigner à une vie sans vie ?
Voici l’enjeu, voici le défi. Pour l’humanité
qui se déployait avant ce coronavirus, la plupart des événements nous étaient
imposés, par le hasard, la nécessité, les règles sociales, la faim, la
protection, un toit, un écran d’ordinateur. Depuis ces quelques semaines, les
événements s’arrêtent et la vie a été remplacée par un virus. Nous voici
condamnés à inventer, à créer, des
événements dans un espace où ils sont devenus impossibles. Des événements, des
vrais, des nécessaires, par des ersatz. Pas des chansons devant la fenêtre, pas
des apéros dans la cour d’immeuble. Pas des événements pour tromper l’ennui.
Est-ce possible ? Si oui, qui se
lance ?
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