dimanche 3 mai 2020

un événement


On se force parfois pour répondre à une demande régulière. Parfois, on n’arrive pas à trouver l’énergie nécessaire pour trouver les mots et à les frapper sur l’écran. Parfois  on se demande, parfois on ne se demande pas. Au début on ne se pose pas de question. Tu trouves un coin de buffet qui permet de se tenir debout sans te demander pourquoi se tenir debout. Puis tu lâches ce coin de buffet et tu tiens debout sans aide de ce coin de buffet. Et tu avances d’un pas, puis d’un autre et les cris d’admiration de ceux qui constituent ta famille te procurent un plaisir inexplicable qui te pousse à recommencer, à mettre un pied devant l’autre. Ensuite pour moissonner d’autres cris d’admiration, tu dessines une maison, tu récites un poème, tu te retrouves premier dans la course, le temps passe, tu regardes les filles et rien d’autre n’a plus d’importance que le regard qu’elle te rend à ton regard puis tu convoles et tu as des enfants qui entendront à leur tour les applaudissements s’ils avancent sans s’appuyer sur le coin du buffet. Puis on se lève pour exercer un métier, ensuite il est possible de poursuivre ce métier même après la retraite. Il y a des enterrements, des veillées mortuaires, des ouvertures de bal avec la mariée, des adultères, des engagements, des amours.

Vivre, c’est supporter avec patience, parfois avec plaisir, l’intervalle de temps qui sépare tous ces événements importants. Les préparer, les supporter, les décorer, les entourer de conseils et de souvenirs et lorsqu’ils ont eu lieu, se les raconter sans fin, tout en préparant d’autres événements.



Ensuite sauf exception, la biologie, les maladies, les règles sociales, réduisent le champ des événements possibles et tu attends plus l’absence d’événements que leur présence. Les enfants ont grandi, la famille s’est disloqué, d’autres enfants naissent on te pose moins de questions. Si tu as la chance de vivre une vie à deux, saisis-la de toutes tes forces, serre-la dans tes bras car rien ne la remplace. D’autres événements peuvent se produire, heureux ou malheureux mais cette vie à deux, bois-la goulûment.



Sans confinement, sans virus, il y a toujours un événement qui se prépare, qui a lieu, qui a eu lieu, qui s’annonce, qui se prépare. Avec cette saleté de merde, ce corona virus, les événements ont disparu. Il reste bien entendu ceux qui ont déjà eu lieu des photos, des livres, des films les racontent. Mais pour demain, pour après demain, quels événements ? Un concert annulé, une réunion de famille interdite, un meeting agité fermé, un mariage reporté, un communiqué silencieux. Les conversations se tarissent, car une conversation est toujours un commentaire sur un événement qui a eu lieu ou qui va avoir lieu. Supprimez les événements et les conversations se taisent.



La rentrée des classes pourrait être un événement considérable, le maître, les copains, elle devient un terrain de jeu pour éviter le virus. Le rendez-vous à la terrasse d’un café est un défilé de mode pour masques. Partager le titre du journal à plus d’un mètre de distance est un exercice d’optique. Faut-il se résigner à une vie sans vie ?



Voici l’enjeu, voici le défi. Pour l’humanité qui se déployait avant ce coronavirus, la plupart des événements nous étaient imposés, par le hasard, la nécessité, les règles sociales, la faim, la protection, un toit, un écran d’ordinateur. Depuis ces quelques semaines, les événements s’arrêtent et la vie a été remplacée par un virus. Nous voici condamnés à inventer,  à créer, des événements dans un espace où ils sont devenus impossibles. Des événements, des vrais, des nécessaires, par des ersatz. Pas des chansons devant la fenêtre, pas des apéros dans la cour d’immeuble. Pas des événements pour tromper l’ennui.



Est-ce possible ? Si oui, qui se lance ?

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