Vélo le long de la Marne jusqu’à Champigny, puis descente
vers les guinguettes.
Des tables rondes, une bouteille de vin blanc, l’orchestre de
trois ou quatre musiciens, accordéon, violon, batterie, piano. Ça commence par
un paso, puis une valse, puis un tango, puis des rumbas. Encore une bouteille
de vin blanc, on remonte vers la piste cyclable jusqu’à la Seine et parfois ça
se termine au restaurant. Cela se pratiquait vers la quarantaine. En hiver, il
y avait le bal à Jo dans une atmosphère plus feutrée. Rue de Lappe, près de la Place
de la Bastille.
Vas-tu
remonter vers ton adolescence, vers les boums du lycée, vers les premiers
baisers derrière un buisson ? Pour se plaindre d’une descente aux enfers ?
C’était mieux avant ? Bien sûr c’était mieux avant. Quarante ans de moins…
C’était
mieux avant. Nous avions des certitudes, nous avions raison et dans les
discussions politiques à table, au café, à l’université, nous étions tellement
certains d’avoir raison que nous parlions doucement, le zéphyr des arguments
gonflait les voiles de nos passions. Nous marchions dans les rues en regardant
de haut ceux qui ne partageaient pas encore nos convictions, mais il suffisait
d’attendre, les faits, l’histoire, nous donneraient raison.
C’était
mieux avant, il suffit d’oublier et d’effacer ce qui n’allait pas très bien,
les ambitions déçues, les rendez-vous ratés, les coups de fouet du destin.
Nous
imaginions la vie comme un mince filet d’eau qui prenant son élan, s’enflait en
descendant la pente, et il n’y avait aucune raison pour que la pente se
redresse, la source devenait ru, le ru rivière, la rivière affluent, l’affluent
une cascade et chaque fois plus violent, plus houleux. Nous étions irrésistibles.
Nous allions vers le bonheur comme l’eau va vers la mer. Ami si tu tombes, un
ami sort de l’ombre à ta place.
Rien ne ralentissait nos ardeurs, quand le
flot se tarissait, des escouades contournaient le lac et préparaient l’avenir. La
mort n’était jamais mortelle. Comme les croyants avec qui nous avions tant en
commun, un avenir radieux nous était promis.
La vie s’est
chargée de redresser la pente. Les torrents sont devenus des tornades. Et d’autres
courants, des tièdes, des faibles, des irrésolus, construisaient des digues,
des brise-lames, des écluses, tout ce qui pouvait prévenir la tempête.
Aujourd’hui,
les croyants croient moins, les lendemains chantent faux, et la mort qui vient a
les couleurs d’un ciel d’orage.
Il faut jeter
aux orties nos mensonges et nos illusions et célébrer tous les jours, du lever
au coucher du soleil les actions humaines qui rendent la vie plus facile, sans prétendre
les imprimer dans des prophéties.
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